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Juin 1669 - Prostitution et prison à Thionville

Publié le par Persin Michel

Gravure tirée de l’ouvrage : « La prostitution contemporaine » chapitre  « la maison à soldats »  Scène datant du 19ème siècle

Gravure tirée de l’ouvrage : « La prostitution contemporaine » chapitre « la maison à soldats » Scène datant du 19ème siècle

Si je regarde très loin dans le rétroviseur, soit 347 ans en arrière, je vois une certaine Madeleine Schaff, veuve d’un nommé « Roclos », alors soldat de la garnison de Thionville.

Cette Madeleine Scharff, fait l’objet d’une lettre du lieutenant général civil et criminel au bailliage du siège royal de Thionville, pour le procureur du roi de la ville, afin de lui signifier que ladite Madeleine Schaff a été constituée prisonnière aux prisons royales du bailliage [1] sur demande dudit procureur du roi en la ville de Thionville à cause de la prostitution de son corps et autres faits par lui constatés.

Suite à cet emprisonnement, ladite Schaff a été condamnée au bannissement de trois ans hors la ville et à une amende de cinquante livres tournois comprenant les frais de justice. Pour payer cette amende, la pauvre n’a aucun moyen, et comme elle a déjà passé plus d’un mois en prison, elle demande à vendre un bien afin de pouvoir payer l’amende et quitter ladite prison.

Dans cette lettre, le lieutenant général civil et criminel au bailliage de la ville signifie au procureur, qu’il autorise ladite Schaff à vendre quelques héritages pour être élargie des prisons royales et lui faire grâce d’avoir tenu la prison aussi longtemps.

 

[1] Les prisons royales ne sont que quelques cellules, se trouvant en général dans les locaux du bailliage (Beffroi)

La suite nous est donnée par un acte du 6 juin 1669, dressé par les notaires royaux de la ville de Thionville, devant témoins et en présence de Madeleine Scharff, veuve du soldat « Roclos » de la garnison de la ville, acte s’ensuivant de la requête faite par elle-même à monsieur le lieutenant général civil et criminel de la ville, lui demandant l’autorisation de vendre quelques héritages pour être élargie des prisons royales de ce siège de Thionville.

Sur consentement du procureur du roi en date du 3 juin de cette année 1669, elle reconnaît avoir vendu pour toujours et irrévocablement, à l’honnête Nicolas Crespin, tailleur d’habits et bourgeois de Thionville et à Madeleine Chopsein, sa femme, un verger situé au village de Volkrange, derrière l’église à coté d’un bien d’église et du chemin communal. Eve Agathe Wirfel, sa mère, et son mari Noël Liger ont l’usufruit leur vie durante [1] sur ce terrain.

Sa mère, Eve Agathe Wirfel, renonce à cet usufruit et vie durante sur ledit verger, qui peut ainsi être vendu pour 12 écus blancs [2] que les acheteurs ont payé comptant et qui seront employés pour l’élargissement de prison de ladite Schaff.

Les témoins sont Pierre Joan et Jean Beran, tous les deux sergents royaux du bailliage de Thionville.

Ces actes nous montrent d’une part, qu’au 17ème et 18ème siècle, la prostitution est un délit réprimé par la loi en vue de son éradication. Les peines sont l’emprisonnement et le bannissement assorties d’une amende. Le bannissement peut être limité dans le temps, ici trois années, et limité dans l’espace, on était banni de la ville ou de la province. Dans certaines régions, la loi est plus dure et peut amener au bagne.

La prostituée est dans un premier temps mise en prison, puis jugée et quand elle a payé l’amende infligée par les magistrats, elle sort de prison pour partir en exil pendant le temps du bannissement. Toutefois, vers le milieu du 18ème siècle, la justice s’adoucit et les mesures prises sont assez peu appliquées.

Dans notre cas nous voyons que Madeleine Schaff était mariée avec un soldat de la garnison de Thionville, elle avait peu de biens, sa mère s’était remariée avec un bourgeois de la ville et quand son soldat de mari est décédé, elle s’est probablement trouvée rapidement sans ressource. Thionville est une ville de garnison où les hommes sont nombreux, seuls et souvent désoeuvrés, une jeune veuve peut très rapidement basculer dans la prostitution pour assurer sa subsistance. Mais la ville est petite et tout se voit, se sait, quelques soupçons venant aux oreilles du procureur et la machine judiciaire se met en route ne laissant que peu de chance d’échapper aux châtiments.  Elle semble être restée plus d’un mois emprisonnée, ne pouvant payer l’amende. Elle n’a qu’un verger à Volkrange qui lui reviendra à la mort de sa mère qui en a l’usufruit sa vie durante, et c’est sa mère qui en renonçant à cet usufruit permettra la vente du bien, le paiement de l’amende et la sortie de prison. Après Madeleine Schaff quittera la ville pour trois années, mais libre.

 


[1] Il semble ici que sa mère Eve Wirfel se soit remariée avec Noël Liger, mais qu’elle était mariée précédemment avec un certain Schaff, duquel elle a eu cette fille Madeleine. L’usufruit sa vie durante sur le verger lui venait de ce précédent mariage échouant donc à sa fille Madeleine.

[2] Un écu blanc vaut en général 3 livres tournois et demie soit pour 12 écus, 42 livres tournois

 

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