30/8/1705 Thionville-Volkrange : La fête au village
Dans cet article, je vais vous conter un incident qui s'est produit le dimanche 30 août 1705, lors de la fête du village de Volkrange, mais avant, je voudrais démystifier, une légende qui court encore chez quelques "historiens" je dirais historiques !
Elle fait partie de ces "âneries" sur le moyen-âge qui ont été tant rabâchées qu'elles sont devenues "vraies" pour nombre de personnes. Elle est comme le fameux droit de cuisage qui n'a jamais existé dans notre pays et cet incident de Volkrange infirme également que les seigneurs de nos villages avaient droit à la première danse lors de la fête des villages. Ce n'est qu'une fausse interprétation de coutumes alors en usage dans nos villages et qui concernaient l'ouverture de la fête, l'ouverture du bal.
Avant de vous relater l'incident, il me faut faire un préalable qui vous verrez explique en partie la tournure des événements arrivés lors de cette fête au village.
Coutume :
La coutume est un « usage juridique oral, consacré par le temps et accepté par la population d'un territoire déterminé ». C’est à dire que c’est la répétition d’une pratique qui établit cette pratique comme étant « l’usage » et cela devint en quelque sorte la loi.
Il existait à Thionville depuis de nombreuses années, des pratiques qui dictaient les règles à appliquer dans un ensemble de domaines et de cas. C’était la « Coutume » de Thionville, applicable dans toute la prévôté puis ensuite dans tout le bailliage.
En 1643, Thionville la luxembourgeoise, devint française dans les faits et en 1659, elle le devint officiellement par le traité des Pyrénées du 7 novembre article 35 à 41.
S’il modifia profondément la structure de l’administration de la ville et de la région, Louis XIV, ne s’attaqua pas ou peu à la « Coutume » en usage. Ne voulant pas choquer ou perturber trop frontalement les habitants. Il va donc reconduire la « Coutume » en usage depuis 1623, validée par le duc de Luxembourg.
En 1661, il fait publier en langue française le texte suivant :
Coutumes générales de la ville de Thionville et autres villes et lieux du
Luxembourg Français
Dans ce texte, à l’article XI du « chapitre ou titre IV » il est écrit :
En évoquant les seigneurs haut-justiciers :
« Lui confère aussi l’autorité de crier les fêtes paroissiales, permettre les danses et les jeux de ces jours là, sauf s’il existe un usage ou une coutume contraire »
Retenons bien cet article !
NB : Il est courant dans les actes notariés du 18ème siècle de lire la mention « …sera réglé suivant la coutume de Thionville… »
Venons en maintenant à l'incident du 30 août 1705 qui nous est relaté par un rapport du procureur du roi au bailliage de Thionville.
« Reçu par nous gens tenant le bailliage et siège royal de Thionville, la requête présentée par Jean Mathias Bock, procureur du roi en ce siège, et stipulant que le 30 août dernier, jour de la fête ou dédicace de Volkrange, son maire s’étant mis en devoir de publier la fête, ayant en main suivant la coutume, un roseau garni de rubans, les sieurs de Pouilly, père et fils suivis des sieurs Rolly, Fringan et Larminat, se seraient approchés du lieu ordinaire de la danse ou ledit maire ayant remis entre les mains du sergent, le roseau garni de rubans, le sergent aurait proclamé la fête au nom du sieur Jean Mathias Bock, seigneur en partie de Volkrange, sur quoi le sieur de Pouilly (le jeune) aurait crié avec emportement qu’il s’opposait et se serait jeté sur le maire pour lui ôter le roseau et pendant qu’il tirait le maire à lui, il fut suivi tumultueusement des sieurs de Rolly, Larminat et Fringan et autres qui tous se mêlèrent confusément avec le sieur de Pouilly.
Celui ci ayant cassé et brisé le roseau, le maire reprit le roseau cassé sur quoi ledit sieur de Rolly se jeta sur le maire pour lui reprendre et l’a menacé de le maltraiter en cas de refus. Il reprit donc le roseau par la force et le brisa en trois morceaux. Mais le maire réussit à reprendre les morceaux du roseau des mains du sieur de Rolly, sur quoi le sieur Larminat avec furie se jeta sur le maire pour lui reprendre le roseau cassé et le mit entre les mains du sergent de justice du sieur de Pouilly.
Le sieur de Pouilly fit alors venir des fusiliers et leur aurait ordonné d’empêcher que l’on ne prenne aucune danse… »
Il est précisé sur le document que le procureur du roi sera avertit des faits et que l’avocat du roi réquisitionnera les sieurs de Pouilly, père et fils, le sieur de Rolly et Larminat pour être entendus sur les faits. Le rapport est daté du 5 septembre 1705.
Pour résumer simplement l’affaire :
Le maire de Jean Mathias Bock, seigneur en partie de Volkrange, a demandé a son sergent de proclamer, avec en main un roseau garni de rubans, ouverte la fête du village et d’autoriser ainsi les danses. Or le sieur de Pouilly, seigneur en partie de Volkrange avec son fils et les sieurs de Rolly, Fringan et Larminat s’opposèrent par la force à cette déclaration en cherchant à prendre le roseau des mains du maire. Ce faisant ils déclenchèrent entre eux une bagarre qui se solda par la destruction du roseau et l’intervention, demandée par le sieur de Pouilly, de soldats afin d’interdire la fête.
L’explication de ce pugilat est fort simple :
Le sieur de Pouilly était seigneur en partie de Volkrange et le sieur Jean Mathias Bock était aussi seigneur en partie de Volkrange. Ils étaient donc co-seigneurs du village mais avec une différence bien réelle :
Le sieur de Pouilly était seigneur haut-justicier du village et le sieur Jean Mathias Bock n’était que seigneur foncier du village.
Relisons l’article XI de la coutume de Thionville : Il est bien précisé que la proclamation de la fête et des danses est de la responsabilité du seigneur haut-justicier donc du sieur de Pouilly.
Cette bagarre n’est donc qu’une question de préséance et de formalisme, mais on verra par la suite que l’entente entre ces seigneurs n’était guère fameuse depuis déjà fort longtemps.
Ce simple fait divers va toutefois nous donner beaucoup de renseignements sur les protagonistes, sur la fête, sur l’administration du village, sur la justice du bailliage…
Pour l’instant restons sur l’incident.
Afin de bien établir les faits, la justice du bailliage, en la personne de Jean Scharff, conseiller du roi, fit interroger une partie (21) des hommes présents à la fête. Qui étaient- ils ?
- Vassor Guillaume, bourgeois de Thionville, âgé de 40 ans.
- Klein Jean, manœuvre d’Hettange-Grande, âgé de 36 ans.
- Junger Philippe, laboureur d’Elange, âgé de 63 ans.
- Chillon Michel, maçon d’Hettange-Grande, âgé de 50 ans.
- Fischer Nicolas, manœuvre d’Elange, âgé de 29 ans.
- Roly Jean, jeune garçon de Marspich.
- Neis Jean, Jeune garçon de Thionville, âgé de 24 ans.
- Bil Jacques, jeune garçon de Marspich, âgé de 29 ans.
- Lechamp Nicolas, boulanger de Thionville, âgé de39 ans.
- Gascher Jean, bourgeois de Thionville , âgé de 30 ans.
- Gascher Valentin, bourgeois de Thionville, âgé de 55 ans.
- Limbourg Nicolas, marchand de Thionville, âgé de 33 ans .
- Cheltier François, laboureur de Marspich, âgé de 23 ans.
- Stroest Antoine, maçon de Marspich, âgé de 28 ans.
- Holstaine Adam, laboureur de Beuvange, âgé de 30 ans.
- Pécheur Christophe, laboureur de Beuvange, âgé de 50 ans.
- Frolin Nicolas, tisserand de Beuvange, âgé de 33 ans.
- Adam Jean, laboureur de Metzange, âgé de 26 ans.
- Schweitzer Rémy, laboureur de Marspich, âgé de 60 ans.
- Jacob Nicolas, tisserand de Beuvange, âgé de 60 ans.
- Veinant Jean, laboureur de Beuvange, âgé de 40 ans.
(Toujours la même remarque sur l’orthographe des noms propres à cette époque qui est souvent aléatoire)
On peut remarquer qu’aucun de ces hommes n’est originaire de Volkrange car trop impliqués et inféodés à l’un ou l’autre des seigneurs du village. On retrouve des gens de Beuvange, Metzange, Elange et Marspich, villages voisins de Volkrange mais personne de Veymerange pourtant proche. Figurent aussi des hommes d’Hettange-Grande et quelques bourgeois de Thionville.
Le sieur Holstaine Adam explique qu’en fait il n’était pas présent à la fête et ne sait donc rien sur les évènements.
Le dénommé Stroest Antoine, maçon de Marspich dit ne pas comprendre le français et n’avoir pas compris vraiment ce qui se passait mais il décrit les faits sans en comprendre le sens.
Un autre encore, explique qu’arrivé en retard, il ne vit rien car trop éloigné de la place et à cause de la foule qui était devant lui.
Les dépositions des autres hommes présents à la fête, on peut établir quelques faits intéressants :
En premier lieu, on apprend que la fête était proclamée sur la place non loin du château et que cela se faisait après les vêpres entre 15h et 16h. On y apprend aussi que pratiquement toute la population de Volkrange, Metzange et Beuvange y participait et qu’on y jouait du violon.
Voilà pour le décor, maintenant sur le fond de l’affaire, on y apprend que tout le monde étant rassemblé sur la place, le sieur de Pouilly arriva du château avec son fils, le sieur de Rolly son beau-frère et les sieurs Fringan et Larminat tous accompagnés de leur famille proche. On y apprend aussi que le sieur Jean Mathias Bock, l’autre seigneur du village n’était pas présent et avait délégué les formalités à son maire et à son sergent.
Un premier accrochage eut lieu dès l’arrivée du seigneur haut-justicier, de Pouilly qui demanda au maire présent des sièges pour lui et sa suite, ce à quoi le maire de Jean Mathias Bock ne répondit pas selon certains ou selon d’autres, il lui dit de s’adresser à son propre maire.
Ensuite les témoignages concordent en ce sens qu’ils décrivent tous le même enchainement des faits :
« Le maire de Jean Mathias Bock donne au sergent le roseau enrubanné et celui-ci crie la fête la déclarant ouverte au nom du seigneur Jean Mathias Bock ce qui déclenche de suite la protestation du seigneur haut-justicier de Pouilly à qui revient cette charge et dans la foulée le déclenchement de la bagarre entre le fils du seigneur de Pouilly et ses invités les sieurs de Rolly, Fringan et Larminat. La bagarre ayant pour objet de récupérer le roseau enrubanné qui dans la coutume était obligatoire pour ouvrir les danses. Le roseau une fois cassé la fête ne pouvait se tenir et le seigneur de Pouilly en fit faire un procès verbal puis il fit venir trois ou quatre soldats armés ou fusiliers pour calmer les gens et interdire les danses sous peine de prison. Chacun se retira donc de la place et la fête fut définitivement gâchée »
Nous verrons dans la suite de cet article que les relations entre les deux seigneurs, haut-justicier et foncier n’étaient pas bonnes et nous verrons que ces personnages étaient tous des notables du bailliage de Thionville donnant ainsi à cette « petite » affaire un retentissement assez important.
Dans le prochain article nous verrons donc qui étaient ces notables, quelles étaient leurs relations et comment se termina l’affaire.
À suivre…