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17 Février 1751 - Mémoire sur la fortification de Thionville (suite) et devenir de Yutz

Publié le par Persin Michel

Plan d'avant la construction du pont en 1673, on utilisait des bacs pour traverser la Moselle (en bas à droite)

Plan d'avant la construction du pont en 1673, on utilisait des bacs pour traverser la Moselle (en bas à droite)

Nous avons vu précédemment que l’ingénieur De la Chèze avait quantifié les hommes devant être nourris journellement dans la place de Thionville, le type des denrées qui devaient être mises en magasin et cela pour 3 mois de siège ou 6 mois de blocus.

 

Il nous explique ensuite l’importance de ces approvisionnements pour les hommes et en cela se réfère au mémoire de monsieur de Vauban [1]sur le sujet :

 

« On sait qu’un homme de guerre renfermé dans une place assiégée et qui y fait son devoir est obligé d’y essuyer journellement des fatigues et des dangers continuels et qu’il en est bientôt épuisé. Si la disette vient malheureusement se joindre à tant de peines se produit alors infailliblement le dépérissement funeste de la garnison et le peu de résistance des fortifications. Les denrées sont les principales forces de leur tête et leurs bras car l’un et l’autre demandent des aliments, surtout depuis le premier tiers du siège jusqu’à sa fin qui est le temps le plus vif et où l’on se tient toujours pour ainsi dire colleté avec l’ennemi et c’est néanmoins sur le temps le plus critique que tombe ordinairement le manque de subsistance, c’est à dire lorsqu’elle est le plus nécessaire. C’est pourquoi Monsieur de Vauban a formé les approvisionnements de siège de manière à nourrir le soldat relativement au pénible et dangereux service que l’on doit en tirer et c’est en ce point que consiste principalement une bonne et vigoureuse défense. 

 


[1]Sébastien le Prestre dit Vauban (1er mai 1633– 30 mars 1707). Concernant le sujet de son séjour à Thionville qui fait toujours « parler » on peut faire les spéculations suivantes : Il se déplaçait très souvent sur le terrain faisant aux environs de 3000 km par an, soit à cheval soit en chaise de poste, de ses carnets de voyages et agendas on peut déduire qu’il est sans doute passé à Thionville vers 1686/1687 et/ou en 1698.

Mais on peut aussi dire qu’il n’y séjourna pas et que ses travaux sur la ville résultent de mémoires réalisés par les ingénieurs militaires séjournant en ville, qu’il lisait avec grand soin, les annotant et les validant avant de les faire accréditer par le roi. Il fut remplacé en 1703 par le maréchal Tallart, car il était très diminué par une bronchite chronique qui le tenait depuis des années et dont il se plaignait souvent. Il en mourut d’ailleurs à Paris le 30 mars 1707. On l’a dit en disgrâce à cause de son mémoire sur la fiscalité royale « La dîme royale » mais je ne le pense pas, le roi l’ayant toujours bien estimé. Il était entré au service des armes à 17 ans et fut blessé de nombreuses fois, beaucoup d’ingénieurs militaires laissèrent leur vie dans les sièges ou attaques des villes pendant les guerres du 17èmeet 18èmesiècle.

Dans la réalité on ne peut pas toujours parvenir à ce but, soit parce que les denrées manquent au pays ou que l’on ne s’y est pas pris assez tôt. On peut alors remplacer le maigre par du gras, mais il faut cependant tenir pour maxime constante que le pain seul n’est pas un aliment suffisant pour un soldat en siège et cela vaut aussi pour les officiers dont le corps n’est pas plus robuste que celui des soldats surtout dans une place comme Thionville où il n’y a de ressources que dans les magasins du roi.

 

Si l’ennemi en vient au blocus de la ville pour l’affamer ce qui pourrait arriver car le siège de la ville est le plus sérieux qu’on puisse rencontrer sur la frontière, il faut alors réserver un des nouveaux magasins à l’artillerie et ramener l’autre moitié des denrées dans un magasin de la vielle ville de Thionville.

 

Ensuite, l’ingénieur fait état de spécifications techniques concernant les positions possibles de l’ennemi sur les hauteurs du couronné de Yutz et les travaux à mener au niveau du canal et des ponts écluses pour se soustraire le plus possible au inconvénients d’un tel état de fait avec le démontage rapide des magasins au-dessus des ponts, la création au-dessus des caves de parapets et autres mesures techniques dont il dit clairement qu’elles ont été agréées puis exécutées par Monsieur de « Cormentagne  [1]» qui en est l’auteur.

 

Haute-Yutz – Basse-Yutz – Makenom [2]

 

Sur la nécessité de raser ces trois villages

Plan de 1750 environ
 

[1]Louis deCormontaigne né à Strasbourg en 1695 et mort à Metz le 20 octobre 1752, le présent mémoire est daté de 1751. Il ne fut pas exactement le continuateur de Vauban décédé 45 ans auparavant. En 1744, il est nommé directeur des fortifications de Metz, Thionville et Bitche.

[2]Macquenom

Il y a nécessité de raser les trois villages de Haute-Yutz, Basse-Yutz et Makenom situés sous le mousquet des ouvrages de Thionville et qui sont préjudiciables aux fortifications de la ville. Les raser pour les regrouper en un seul et même village.

 

Il y a longtemps qu’ils sont condamnés et on ne saurait tarder davantage à les raser, il nous suffira de dire en peu de mots que :

 

Celui de Haute-Yutz touche pour ainsi dire à la palissade du couronné et qu’il est précisément sur un rideau dont il faut raser la partie adhérente au glacis pour fournir des terres au remblai des ouvrages de l’aile droite du couronné.

 

Celui de Basse-Yutz est sous le mousquet du retranchement de la pointe inférieure de l’isle et celui de Makenom tient à celui de Basse-Yutz.

 

Les trois villages ne sont pas considérables pris séparément mais s’ils sont réunis, ils formeraient un très bon village propre à fournir des denrées de subsistance pour la garnison de Thionville.

 

Il ne se pourrait pas que cette réunion soit contredite par le spirituel ni par le temporel car ces trois villages ont le même curé et le même seigneur.

 

Le choix du nouvel emplacement pour le nouveau village :

 

Si les villages sont nécessaires aux grandes routes, les grandes routes sont nécessaires aux villages.  Il vaut donc mieux que le nouveau village soit placé sur une grande route servant de communication entre nos places fortifiées de la frontière. 

 

Or, il se trouve que la grande route de Thionville à Saarlouis passe sur le ban des trois villages par conséquent le choix du nouvel emplacement semble évident, c’est à dire sur la grande route de Saarlouis.

 

Le nouveau village ne pas être trop loin ni trop près de la place car pendant la guerre, les officiers des troupes de campagne ne peuvent pas placer leurs chevaux dans la ville car il n’y a pas assez d’écuries dans les bâtiments du roi comme chez les particuliers. Ils sont donc obligés de les mettre dans les trois villages, il est par conséquent utile de ne pas trop éloigner le nouveau village pour ne pas enlever aux officiers le recours possible à leurs chevaux dont ils dépendent et d’un autre côté il ne faut pas trop rapprocher le nouveau village de la place pour ne pas offrir à l’ennemi un débouché facile pouvant favoriser une attaque, non le nouveau village doit se situer à environ 900 toises de la palissade du couronné.

 

Il faut de l’eau courante pour les usages domestique et pour abreuver les chevaux et donc le nouveau village ne doit être construit trop haut pour n’avoir pas trop à creuser afin de trouver cette eau mais plutôt dans un point bas mais qui ne doit pas être marécageux ou malsain.

 

La justice et la convenance voudraient que les terrains ou habiteront les habitants du nouveau village soit à égalité avec ceux qu’ils possédaient dans les villages rasés, de même pour les seigneurs.[1]

 

[1]Je n’ose imaginer le nombre de contestations qu’induiraient une telle démarche et le nombre de procès qui en découleraient. Pourtant on le fit pour Haute-Yutz en 1815 déclenchant une haine certaine envers le général Hugo parmi la population.


Les façades des maisons seront alignées de part et d’autre de la chaussée, de la grande route de Thionville à Saarlouis en veillant à laisser au moins 10 toises [1]entre le bord de la chaussée et les maisons et cela pour servir de palier [2]aux allants et venants et au débarras de la voie publique. On mettra sur ces paliers les fumiers afin de les faire pourrir et de vider les maisons qui en sont infectées.

Où l’on voit bien les « usoirs » devant les maisons sur cette photo du village de Mouacourt vers 1900

L’église :

 

L’église ne saurait être mieux placée qu’au milieu du nouveau village, enclose dans des murs avec la maison curiale. Ce clos doit être plus élevé que le reste du village afin de lui acquérirle commandement et de ne pas être plongé dans les habitations.

 

On pourra mettre en sureté dans ce clos, si besoin, un petit détachement et fermer par une barrière l’entrée et la sortie du village. Les valets des officiers à la première alerte mettront dans ce clos les chevaux où ils ne pourront pas être forcés par une partie ordinaire en recherche de butin et non de coups de fusils. On pourra y mettre aussi les bestiaux et les effets mobilier des habitants si besoin.

 

Il sera bon de rapprocher le clos de la chaussée plus que des maisons du village pour lui donner vue sur les allées et venues et de laisser un intervalle de 20 toises de largeur de part et d’autre sur tous les côtés du clos en sorte que rien ne pourra l’offusquer. On pourra y planter un orme pour l’ombrager et masquer les toitures avec cette remarque que la maison curiale ne doit pas avoir de porte sur le mur de clôture sur lequel elle est adossée mais doit être accessible uniquement par la porte qui conduit à l’église et qui ne devra être que la seule porte du clos.

 

On devra créneler le mur de clôture et faire un petit fossé autour dont en retournera les bords en forme de contre escarpe et où l’on pourra mettre les eaux sauvages[3]du village si l’on peut.

 

Les maisons des seigneurs :

 

Les maisons des seigneurs ne pourront être qu’au début ou à la fin du village car leur maison comporte un étage qui peut mettre en péril le clos, les maisons paysannes [4]ne comportant pas d’étage n’ont pas cet inconvénient.

 

La chapelle du canal :

Il existe actuellement une petite église ou chapelle de dévotion située vers l’entrée du village de Basse-Yutz sur le bord du canal avec un clocher et une enceinte de murailles qu’il faudra raser ou déplacer vers le nouveau village.

 

[1]Une toise fait environ 1,90 m

[2]Ce que l’on appellera dans les villages lorrains les « usoirs » où l’on trouvait le fumier, la réserve de bois et les charettes ou autres machines agricoles

[3]Les eaux sauvages sont les eaux de pluies, de ruissellement qui viendront se collecter dans ces fossés

[4]Les maisons paysannes de l’époque n’ont qu’un rez-de-chaussée souvent à pans de bois 

Carte synoptique des modifications préconisées par le mémoire de 1751

Carte synoptique des modifications préconisées par le mémoire de 1751


Nous savons que les trois villages ne furent pas rasés comme le prévoyait ce mémoire, mais que celui de Haute-Yutz fut incendié en 1815 par le général Hugo [1], et reconstruit en 1817 à son emplacement actuel.

 

Ce passage de l’histoire de Haute-Yutz est fort bien décrit dans l’ouvrage suivant :

 

YUTZ aux éditions Coprur paru en juillet 1985

 

Vous pouvez aussi consulter sur Yutz (cliquer sur l'adresse ci-dessous)

réalisé par Jean-Marie Blaising
 

[1]Père de Victor Hugo  pour des raisons restées très obscures.

NB :  

 

Les éléments de ce mémoire sont souvent présentés comme étant de Louis de Cormontaigne mais ils sont produits par de La Chèze, ingénieur militaire, en poste à Thionville sous les ordres de Louis de Cormontaigne qui vivait à Metz étant directeur des fortifications de Metz, Thionville et Bitche.

 

Celui-ci recevait les mémoires de ses ingénieurs, les étudiait, venait éventuellement visiter les lieux, voir et discuter avec l’ingénieur, puis les agréait ou pas. Une fois agréés, les projets étaient envoyés à l’état-major du roi qui les validait en fonction des finances ou d’autres considérations stratégiques et/ou politique ayant la vue d’ensemble de la situation du pays.

 

 

La suite du mémoire comporte un long chapitre sur les différentes attaques possibles de la ville en envisageant les stratégies de défense adaptées. Ce chapitre est très technique et doit être associé à un plan [1]où sont répertorié les différents moyens mis en œuvre. 

 

Il nous restera encore à voir la construction des fours à pain avant de clore ces articles sur le mémoire de ce militaire, lieutenant-colonel, ingénieur en chef à Thionville en 1749, encore actif dans la ville en 1751, mort en activité. Il réalisa le relevé des souterrains de la ville pour servir à la guerre souterraine dont il attribut l’étude et la spécialité à Louis de Cormontaigne.

Merci à Monsieur Gaudinet Frédéric des archives municipales pour nos échanges d'informations et à Monsieur Jean Marie Blaising pour m'être inspiré d'une des cartes parue dans "Haute-Yutz, le temps d'un village" décembre 2007, disponible sur le net.

 

 

[1]Plan non retrouvé dans les archives

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17 Février 1751 - Mémoire sur la fortification de Thionville

Publié le par Persin Michel

Nous allons voir de façon plus précise, le mémoire rédigé par un ingénieur militaire en 1751, concernant les fortifications de Thionville sur la rive droite de la Moselle. J’avais commencé à vous présenter le préambule de ce rapport le 17décembre 2018, pour mémoire ci-dessous :

 

Préambule d’un rapport rédigé par l ‘ingénieur Lachèse [1]sur la fortification de la ville et qui commente ici les raisons de la construction de la couronne sur les hauteurs de Yutz. 

 

« Thionville est située sur la Moselle à 6 lieues [2]de Luxembourg, duché dont elle a fait partie.

A 5 lieues de Metz, dont elle dépend tant pour le commandement que pour la juridiction.

 

Elle n’était autrefois fortifiée que fort simplement, mais depuis l’année 1727, le roi a augmenté ses fortifications dans presque tout son circuit au point que si le côté de la Moselle répondait en force aux autres côtés de la place, elle pourrait être regardée comme une des plus forte du royaume. Cette partie de la Moselle a toujours été regardée comme défectueuse. Les eaux de la rivière devenaient extrêmement basses dans les arrières saisons et jusqu’au point de ne conserver que 3 pieds [3]d’eau dans son plus profond, elle devenait guéable dans presque tout son cours.

 

Le pont qui traverse la rivière n’était couvert que d’un petit ouvrage à corne de peu de résistance, ce qui a déterminé à l’agrandir et à en former une double couronne qui couvre tout le côté de la rivière. Cet ouvrage quelque beau qu’il soit, pêche par un point essentiel ; il a trop peu de capacité pour une bonne défense et ne procure aucun emplacement à Thionville qui en a très besoin et a été construit si bas que les eaux de la Moselle, lorsqu’elles débordent en interdisent l’entrée en passant au-dessus de la partie des parapets du chemin couvert qu’elles détruisent et emportent dans le fossé.

 

A ces défauts, se joint celui d’être soumise à la hauteur d’Yutz où dès le premier travail on pourrait établir des batteries qui en très peu de temps en aurait anéantie toutes les défenses et donne le moyen de s’en rendre maître aisément. Cela fait juger que le côté n’était pas en équilibre avec les autres parties de la fortification de Thionville et que ce serait toujours le chemin qu’un ennemi habile prendrait pour se rendre maître de cette place et a fait former le dessein d’y travailler pour parvenir à la mettre dans cet équilibre de force.

 

On n’a rien trouvé de mieux que l’établissement d’un ouvrage dont le bastion du centre pris de la supériorité sur toute les hauteurs de Yutz et l’auteur de cette prétendue couronne d’Yutz n‘a donné ce projet dans le dessin de ne pas voir l’objet de cette dépense aussi considérable qu’elle est réellement, espérant que le temps lui fournirait le moyen d’exécuter le projet de la jonction à la double couronne de la Moselle après que les deux fronts de la hauteur seraient exécutés. Il est trop habile pour avoir jamais pensé que les deux fronts puissent tenir lieu du nécessaire en cette partie et ne l’a point caché.

 

[1]Voir la biographie résumée en fin d’article. Il signe LaChaise

[2]Une lieue terrestre représente environ 4,44 km

[3]1 pied = 0,326 m

C’est sur ce principe qu’on a donné le nouveau projet et on ne peut disconvenir que la couronne seule serait un mauvais ouvrage de peu de défense dont la communication serait difficile et qui serait vue dans toute son intérieur par l’ouverture de sa gorge, et donnerait à l’ennemi un emplacement plus commode que la nature ne lui donnait ci-devant pour établir les batteries nécessaires pour la ruine entière de cette double couronne.

 

 

La Moselle, les inondations et le futur canal :

 

« Voici les raisons qui occasionnent les inondations et celles de faire un canal de 25 toises de largeur [1]pour éviter les plus fréquentes inondations et empêcher les eaux de monter au point où elles ont été le 21 août 1740.

 

A Thionville, la rivière Moselle coule dans un bassin (lit) de 70 à 80 toises [2]de largeur dont les bords sont élevés au-dessus des eaux ordinaires de 7 à 9 pieds [3]et les plus hautes eaux de 9 à 12 pieds [4]. Cette rivière est extrêmement inconstante dans ses variations, souvent elle sort de son lit ordinaire en 2 ou 3 jours et s’élève à 10 ou 11 pieds, quelquefois jusqu’à 12 ou 13 pieds et parfois plus encore car sa plus grande crue à été de 14 pieds [5]ce qui a été regardé comme un évènement extraordinaire car il n’y a aucune mémoire dans le pays qui se souvienne de l’avoir vue si haute.

 

Au-dessous de Thionville, la rivière est trop resserrée lors des crues et quand elle passe entre les fortifications de la place et le revêtement de la double couronne, les eaux sont forcées de monter jusqu’à ce qu’elles puissent s’écouler par la campagne et la prairie sous les glacis de la double couronne.

 


[1]Soit environ 50 mètres

[2]De 140 à 160 mètres

[3]Entre 2,30 m et 2,9 m

[4]Entre 2,9 m et 3,9 m

[5]Soit 4,56 m


Là, elles rencontrent la chaussée de Saarlouis qui est entre la double couronne et la couronne de Yutz, cette chaussée la retient comme une digue et ne leur donne d’écoulement que par les 7 petites arches des deux ponts, trop étroites pour permettre un bon écoulement des eaux. Donc pour s’écouler, les eaux doivent atteindre la hauteur des deux ponts et passer au-dessus [1]. Pour y parvenir, il faut que toute la campagne soit inondée, les chaussées interdites, ce qui cause au pays un tort considérable.

 

Pour éviter cela, il faudrait ajouter à la rivière un nouveau cours comme un canal capable d’écouler les eaux sans trop les diminuer quand elles sont basses et cela pourrait se faire par un canal de 25 toises de largeur allant de la basse à la haute Moselle.

 

Les avantages de ce canal seraient :

 

  • Eviter les grandes inondations pour le pays autour de la ville.

  • Assurer une communication plus constante sur les chaussées.

  • Eviter de relever les portes et ponts de la ville qui ne seront plus noyés pas même celle de la double couronne exceptée celle de sa demi-lune qu’il faudra relever.

  • Eviter pour toujours le danger ou a été le grand pont de la Moselle d’être emporté.

  • De donner un bon retranchement dans les nouveaux ouvrages.

 


[1]Un des ponts de la chaussée de Saarlouis a été emporté le 18 décembre 1740, l’eau montait alors d’un pied par jour

Les grains, la farine et les denrées : 

 

 

Il y a une nécessité de construire à Thionville des caves et des magasins où l’on pourra disposer en sureté les approvisionnements de bouche nécessaires à la subsistance de la garnison pendant la durée d’un siège.

 

Ce projet qui est agréé et que l’on exécute, rendra un siège extrêmement difficile pour l’ennemi et sera d’une longue durée en le soutenant avec 7000 hommes de garnison y compris toutes les espèces de gens de guerre nécessaires à une bonne défense pendant trois mois.

 

Il faut convenir que la place a été bien négligée de ce côté et qu’il n’y a aucune cave à l’épreuve de la bombe dans toute la ville, lesquelles simples caves s’emplissent entièrement d’eau lors des crues de la Moselle et ne peuvent donc recevoir les boissons et chairs salées.

 

Il n’y a pas un seul magasin capable de recevoir des grains et des farines, sauf le grenier des casernes, mais qui ne peuvent contenir que quelques avoines et les grains et les farines utilisés par jour pour une petite garnison ordinaire de 4 à 5 bataillons au plus et un escadron mais rien de convenable pour les approvisionnements d’un long siège ou d’un blocus accompagné d’un bombardement.

 

Cette place est actuellement si petite et si resserrée qu’une telle conduite de la part de l’assiégeant culbuterait ou incendierait en une journée toutes les habitations et les denrées qui y seraient, soit le sixième du nécessaire et ferait donc rendre la place.

 

Tous les souterrains de la place servent de communication pour accéder aux ouvrages extérieurs, en y marchant un à un et encore en manque-t-il plusieurs auxquels on travaille d’année en année et par conséquent ne sont d’aucun secours à ce jour.[1]

 

Ce que nous avançons dans ce mémoire à été prouvé au commencement de la présente guerre où l’on a eu ordre de jeter quelques provisions dans la place où elles furent dispersées, ça et là, chez des particuliers quoiqu’en petites quantités et il s’en est suivi une conservation impossible par les employés chargés d’y veiller. Il y eut un déchet continuel de la plupart des denrées qu’on ne pouvait plus soigner ni veiller.

 

Que deviendront-elles dans le bombardement ?

 


[1]L’auteur de ce mémoire a fait le relevé des ses souterrains dont une copie existe sans doute aux archives de l’armée (Génie) à Vincennes mais où cependant rien n’est répertorié !

Elles disparaitraient avec les maisons des particuliers dans lesquelles elles auraient été entreposées. Les maisons trop serrées seraient rapidement détruites et incendiées.

 

Si l’on peut remédier à cela, la place deviendra une des plus importantes car le plus grand chemin de l’ennemi peut-être la Moselle bien plus navigable que la Saar, Thionville est donc pour l’ennemi la première porte où il faut frapper avant de remonter plus haut.

 

Afin de répondre aux deux constats précédents concernant :

 

La Moselle, les inondations et le futur canal.

Les grains, la farine et les denrées 

 

Voici le projet de ce qu’il est le plus convenable à faire pour y remédier :

 

Construire deux bâtiments sur l’entrée et la sortie des eaux du canal à travers la nouvelle enceinte de Yutz à Thionville pour recevoir les approvisionnements de bouche nécessairependant un siège de 3 mois ou 6 mois de blocus

Plan de 1746 montrant la coupe d'un des ponts écluses

Plan de 1746 montrant la coupe d'un des ponts écluses

Sur cette carte postale de 1967 on voit  au premier plan l’état du pont amont avant restauration.

Pour plus d’informations et pour les plans d’époque et autres photos vous pouvez
consulter le N°15 des documents thionvillois [1].

 

Le présent article ne présente que le mémoire de l’ingénieur La Chèze

Les bâtiments projetés étaient composés de caves voûtées à l’épreuve des bombes situées au-dessus des piles du pont écluse. 

 

Au-dessus des caves, on trouvait une chaussée pavée centrale permettant le passage au-dessus du canal et de part et d’autre de cette chaussée des greniers servant d’entrepôts. Le bâtiment actuel, rénové de 1991 à 1995, ne comporte d’un seul grenier au-dessus de la chaussée centrale et de l’emplacement des deux greniers d’origine.

Le pont écluse amont d’entrée des eaux restauré et le pont écluse aval de sortie des eaux avec ses caves mais dont les greniers supérieurs ont été détruits.

 

Quelques remarques sur la construction de ces deux bâtiments :

 

(Il y a plusieurs pages de remarques, je n’y ai mis que les plus générales, les autres sont très techniques)

 

Les piles et les arches des passages d’eau seront établies sur un massif ou radier de maçonnerie, fortifié, haut et bas, par des files de pilots et palplanches. Ledit massif établit dans le tuf mêlé de roc car nous avons déjà reconnus le fond dans les autres ouvrages que l’on a construit cette année.

 

Les magasins seront à l’épreuve de la bombe.

 

Il y aura dans un des bâtiments un magasin pour les poutrelles, les denrées de bouche et dans l’autre bâtiment on mettra le grain et la farine.

 

Il n’y aura aucune cheminée dans les bâtiments pour éviter le feu avec des matières inflammables, eau de vie, huile, vinaigre et graisse.

 

Le regroupement des denrées dans ces magasins pourra se faire facilement par la Moselle et le canal, leur garde sera plus aisée.

 

On trouve ensuite quelques éléments sur les quantités de denrées nécessaires pour les sièges ou les blocus, quantités évaluées d’après la table de monsieur de Vauban établie pour une ville comme Thionville à 9 bastions.

 

Infanterie :                   5400 hommes

Cavalerie :                     540 hommes

Autres guerriers          1160 hommes

Total :                        7100 hommes

Vivres nécessaires pour 6 mois de blocus en farines : 

 

Froment :        5280 septiers [1]

Seigle :            2640 septiers

Total :            7920 septiers

 

NB : 

Les habitants inutiles ou sans ressources seront expulsés de la ville en cas de siège ou de blocus. Les autres devront se munir de vivres pour 6 mois car les décomptes ne concernent que les hommes de guerre.

 

Les estimations en froment et en seigle ont été augmentées environ d’un cinquième pour les officiers des troupes, les valets, l’hôpital, les ingénieurs, les charpentiers, les canonniers, les mineurs, les charrons, les armuriers et autres gens utiles.

 

Ce mémoire nous donne aussi la liste des denrées mises en réserve dans les caves et greniers des bâtiments avec leur quantité. Je ne donnerai ici que les types de denrées et n’entrerai pas dans le calcul des quantités nécessaires en fonction des effectifs.

 

Liste des denrées entreposées et consommées de façon journalière par les soldats :

 

-Pois

-Lentilles

-Riz

-Orge mondé [2]

-Orge en grain pour les tisanes et nourrir les volailles

 

Epices :

 

-Poivre

-Cannelle

-Clous de girofle

-Noix de muscade

 

Ails et oignons à raison de deux têtes par jour et par chambre de 6 hommes.

 

Vins alcool et tabac :

 

-1 chopine par jour d’un vin de qualité [3]

-2 petites mesures d’eau de vie par jour et par home.

-Tabac à fumer correspondant à 4 pipes par jour et par homme.

 

Viandes :

 

-Lard salé

-Bœufs et vaches

-Moutons pour les officiers blessés ou malades

-Veaux et volailles pour les hommes malades ou blessés qu’on élèvera chez les particuliers, dans les fossés de la place et dans les cloîtr

 

[1]Un septier est estimé à 235 livres pesant doit faire 158 rations de pain à 2 livres pesant le pain. La livre pesant à cette époque vaut pratiquement 1 kg, au 18èmesiècle elle sera ramenée à pratiquement 500 g

[2]Orge dont on a enlevé l’enveloppe qui entoure le grain et qui n’est pas consommable

[3]La chopine correspond à ½ litre, parfois on utilise ce terme pour désigner une bouteille

Pour les jours maigres qui sont de deux par semaine :

-Fromage
-Morue salée et verte[1]
-Harengs
-Herbes potagères, persil, thym…
Fruits :
-Fruits frais, pommes et poires
-Pruneaux pour les malades
Autres :
-Huile de noix ou de navettes
-Huile d’olive de bonne qualité
-Beurre salé
-Vinaigre
Il faut aussi entreposer des ustensiles de cuisine :
-Pots de terre environ 200
-Barils de distribution environ 1000
-Gamelles de bois environ 4000
-Cruches de terre environ 1000
-Chaudières pour la cuisson environ 8
Cela nous laisse à voir l’alimentation quotidienne des soldats de la garnison. 
S’en suit dans le mémoire, une importante partie purement stratégique qui prévoit de construire dans la vieille ville de Thionville, un magasin assez important pour rapatrier les denrées de ses deux bâtiments dans la ville au cas où une attaque éventuelle obligerait à détruire en partie les bâtiments construits sur le nouveau canal. Il est précisé que les caves pourraient être conservées mais que les greniers au-dessus pourraient être détruits en seulement quelques jours afin de les soustraire aux canons ennemis et dégager ainsi la vue.
Ensuite vient une partie purement militaire qui explique l’importance pour les soldats d’être bien nourris comme le précise monsieur de Vauban dans ses écrits. 
Nous verrons cette partie dans l’article à venir.

 

Timbre émission 19.09.2006
 

[1]Morue verte = morue juste salée - Morue salée = Morue séchée et salée

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1675 – Thionville -Ponts et palissades des fortifications

Publié le par Persin Michel

Les ponts et les palissades étaient des éléments très importants des fortifications de la ville principalement du 16èmeau 18èmesiècle. Ils étaient confectionnés en bois assemblés par des éléments en fer et nécessitaient des connaissances en charpenterie et serrurerie.
Paradoxalement, peu d’historiens [1]en parle car ils sont considérés comme accessoires, peu valorisant au regard des éléments de fortifications principaux en maçonnerie que sont les remparts, les redoutes, les escarpes, contrescarpes et casernes. De plus, étant en bois, ils ont aujourd’hui disparu et n’ont pas ou peu laissé de traces.
Pourtant ils sont présents dans tous les actes traitant des fortifications de la ville. Les ingénieurs militaires étaient sensibles à leur fabrication et à leur entretien qui se devait d’être régulier, car ils étaient alors des éléments indispensables au bon fonctionnement de la fortification.
Les ponts :
A Thionville, en dehors du pont principal sur la Moselle [2], il en existait en très grands nombres. Il y avait les ponts des portes de Metz et de Luxembourg qui permettaient d’entrer et de sortir de la ville, ceux-là étaient déjà d’importance mais il y avait aussi un grand nombre de petits ponts qui permettaient la communication entre les différentes parties des fortifications. Ces ponts étaient soit au-dessus de fossés secs ou de fossés en eau, ils étaient faits de bois, les tabliers reposant sur des chevalets. 
Souvent, ils n’étaient pas d’un seul tenant, une partie était mobile, pouvant être relevée ou démontée en cas de besoin, certains pouvaient être tournants.
Les palissades :
Formées de long épieux de bois épointés, elles étaient solidement fichées en terre, en rang serré avec parfois un petit interstice entre chaque pieu permettant la vue. L’ensemble des pieux était alors solidement fixé en haut par des traverses afin de solidariser le tout.
Elles étaient implantées le long du chemin couvert, le long des remparts où elles servaient de protection, empêchant les ennemis de saper le fondement des ouvrages. En fait, elles étaient un peu partout dans la place, protégeant les portes et les ponts, faisant office de barbacanes. Elles empêchaient les assaillants de voir les mouvements des soldats ou des habitants dans la place. Elles pouvaient aussi être implantées dans les escarpes comme des herses rendant difficile leur escalade.
Les palissades associées aux fossés étaient un moyen passif de défense qui venait de la nuit des temps. Elles avaient fait la preuve de leur efficacité face à une charge de face, mais l’artillerie et son perfectionnement avait diminué son utilité et plusieurs ingénieurs militaires commençaient à critiquer son emploi.
Quoiqu’il en soit, les ponts et les palissades, nécessitaient des savoirs faires propres aux métiers de charpentier et de serrurier comme nous le voyons dans l’acte suivant :
 

[1]Même parmi les spécialistes des fortifications

[2]Construit par le capitaine suisse Salzgueber –(voir mes autres articles sur les fortifications)

 

« Le 9 septembre 1675, devant nous, notaires royaux demeurant à Thionville sont comparus Jean Well, maître charpentier et Guillaume Merlinger, maître serrurier qui  se sont obligés à l’égard de Louis [1], seigneur de l’ Espinay, capitaine au régiment de la marine, ayant la direction des fortifications des villes et places des pays de la Lorraine et frontière du Luxembourg et par-delà envers sa majesté. 
Ils s’engagent à entretenir en bon état tous les ponts de la ville tant dedans que dehors la place et qui sont à la charge de sa Majesté et cela pendant 10 années et aux conditions suivantes :
Premièrement, le grand pont sur la Moselle avec la redoute au bout du pont.
Deuxièmement, les avancées des portes de Metz et de Luxembourg avec les ponts qui sont au bout des deux glacis comme aussi tous les corps de garde qui sont à la charge de sa Majesté.
Troisièmement, toutes les palissades autour de la place avec les portes et barrières de sortie du chemin couvert et les traverses qui sont aux angles saillants du glacis, plus les traverses (obstacles mis en travers des différents accès pour empêcher les tirs par ricochets ou de travers) qui sont aux avancées du rempart dans la place c’est à dire de veiller aux palissades et de les tenir toujours bien plantées, alignées et droite.
Pour cela le sieur Well recevra annuellement 45 écus blancs à 3 livres l’écu et le sieur Merlinger 20 écus blancs aussi à 3 livres. Ces sommes seront payables de 6 mois en 6 mois sur présentation d’un certificat signé de l’ingénieur militaire de la place.
Les sieurs Well et Merlinger seront tenus de fournir le bois et le fer sous réserve des palissades qui sont à la charge du Roi.
Le tout passé avec l’engagement de tous leurs biens meubles et immeubles présents et à venir. »

 

Un beau plan au lavis de 1730/40 (Bibliothèque Nationale – Paris)
 

[1]Louis de Saint-Lô, ingénieur ayant travaillé souvent sous les ordres de Vauban

Extrait de l’ouvrage : La fortification permanente par G.H. Dufour paru à Genève en 1822 où l’on commence à remettre en cause l’usage des palissades.

Extrait de l’ouvrage : La fortification permanente par G.H. Dufour paru à Genève en 1822 où l’on commence à remettre en cause l’usage des palissades.

Dessin du 18ème siècle de la structure d’un pont de bois

Dessin du 18ème siècle de la structure d’un pont de bois

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