Les trains oubliés de Thionville-Veymerange
Passant régulièrement dans ce quartier de Thionville, Veymerange, où j’ai passé une partie de ma jeunesse, je vois disparaître les quelques témoins du passé de ce village.
Ainsi en est-il des vestiges des deux voies ferrées qui traversaient jadis le ban du village. Aujourd’hui, il me semble opportun d’évoquer brièvement l’existence de ces voies ferrées qui ont laissé leur empreinte dans ce paysage bucolique et qui n’en doutant pas faisaient partie de la mémoire collective des habitants.
Sur ce plan et surtout ci-dessous, sur la photo aérienne de 1955, l’on voit bien le carreau de la mine de Metzange avec sa voie ferrée en activité permettant d’amener le minerai de fer aux hauts fourneaux de Thionville.
Cette ligne passait à côté du cimetière et croisait la route de Florange juste à la sortie du village pour se diriger vers Terville.
Les ruisseaux, celui venant de Metzange et celui venant d’Elange, sont bordés de saules et donc très visibles sur cette photo. Ils se rejoignent en plein cœur du village pour n’en plus former qu’un seul qui traversant Terville, ira se jeter dans la Moselle, à l’entrée sud de Thionville.
La voie ferrée militaire qui était une voie étroite de 0,60m, détruite par les allemands dès 1941, a laissé une empreinte encore visible à travers le village.
Son ballast recouvert de buissons est encore bien visible à la sortie du village sur la route de Florange, au cœur du village, elle a servi de support à la rue des jardins fleuris avec son pont métallique d’époque.
Les deux voies ferrées :
1 – La voie ferrée reliant le carreau de la mine de Metzange aux hauts fourneaux de Thionville.
2 – La voie ferrée militaire reliant le dépôt de munitions de Saint-Hubert et le gros ouvrage du Kobenbusch via les gares de transbordement de Florange et d’Hettange-Grande.
1 -La voie ferrée dite de l’usine :
Cette ligne de chemin de fer à écartement normal avait été construite pour alimenter avec le minerai de fer extrait de la mine dite de Metzange[1], les haut-fourneaux de Thionville, créés par Carl Roechling à la fin du 19ème siècle.
[1] Mine dépendant de celle d’Angevillers, datant de 1900. Désaffectée en 1975, installations détruites en 1984
Sur le carreau de la mine de Metzange, le minerai était chargé sur des wagons tractés par une locomotive électrique, un passage à niveau existait à la sortie du village sur la route menant à Florange via l’Etoile. Un autre passage à niveau important se situait à Terville, sur la route menant à Daspich où se produisit le 9 février 1928, un terrible accident faisant 19 morts et 6 blessés, quand un wagon détaché du train, percuta le tramway reliant Thionville à Florange [1].
A la fermeture du carreau de la mine, cette voie ferrée n’ayant plus d’utilité, fut abandonnée aux herbes folles, comme le montre la photo de la page suivante.
Aujourd’hui, si l’on peut encore deviner l’emplacement de cette ligne de chemin de fer, demain, elle disparaîtra sous un lotissement en cours de réalisation.
[1] Récit de l’accident dans l’ouvrage « Terville, Histoires retrouvées » 2013 par Michel Persin
La photo ci-contre m'a été donnée par Mme Erna Welsheimer qui était la fille de JP Toussaint.
2017 L’empreinte de la voie ferrée est encore visible, elle passait au pied du gros arbre roux en fond de photo. (Photos prises du même endroit)
2 - La voie ferrée militaire :
A la fin de la première guerre mondiale, l’artillerie chercha un moyen de transporter des munitions pour alimenter ses canons [1]. C’est le lieutenant colonel Péchot, polytechnicien qui en 1884, plancha sur le moyen de transport adéquat pour transporter les munitions.
Il pensa de suite au chemin de fer avec un écartement de 0 ,60 m et des essais furent effectués en 1888 avec l’aide d’un ingénieur, monsieur Bourdon, les essais furent concluants et le système fut mis en place pour les places fortes de l’Est.
Les rails posés sur un ballast étaient préfabriqués et le réseau pouvait se monter très rapidement.
Afin d’assurer, depuis le dépôt de munitions de Saint-Hubert [2] , l’approvisionnement en munitions, mais aussi des autres produits utiles au fonctionnement des forts de la ligne Maginot situés nord-est de Thionville, principalement l’ouvrage de Soetrich et celui du Kobenbusch. On décida de construire une voie ferrée à voie étroite partant du dépôt de Saint-Hubert passant à Florange, Veymerange, Elange puis Hettange-Grande pour arriver au gros ouvrage du Kobenbusch près de Cattenom où se trouvait le « gril ».[3]
Une petite dérivation alimentait l’ouvrage de Soetrich. (Voir le plan)
[1] Pour exemple en 1916 pendant 7 mois furent tirés plus de 23 millions de projectiles
[2] Situé entre Fameck et Uckange non loin du « moulin de Brouck »
[3] Le « Gril » était une petite station de triage ou l’on stockait les trains arrivant avant de les décharger pour entrer les munitions dans les ouvrages.
Les expropriations pour construire cette voie ont commencé à Veymerange en 1933 et jusqu’en 1938. Le tracé qui passait entre le haut et le bas du village franchissait le ruisseau venant de Metzange, on y construisit un pont sur le modèle standardisé alors en vigueur. Ce pont existe toujours, aujourd’hui piétonnier, il permet d’emprunter la rue des jardins fleuris allant au groupe scolaire Robert Desnos.
Sur la photo ci-dessous de 1995, prise depuis le pont, nous voyons l’emprise de l’ancienne voie ferrée devenue la rue des jardins fleuris. Au fond l’école Robert Desnos et vers le milieu de la photo nous remarquons une plateforme des deux côtés de la voie, c’était en fait un garage d’évitement pour la circulation des trains.
Ci-dessous, sur la photo prise à la sortie de Veymerange sur la route menant à Florange, on voit encore bien sous la haie au premier plan, le ballast de cette voie ferrée.
Ces trains comportaient d’habitude trois wagons qui pouvaient être des plateformes pour les munitions [1] (voir ci-dessous), des citernes ou des wagonnets pour le sable ou autre matériau de construction.
[1] Type 1888
Les locomotives disponibles au dépôt de Saint-Hubert étaient de trois types différents :
La Péchot-Bourdon à vapeur
La Crochat à essence et transmission électrique
La Schneider à essence et transmission mécanique
Les plus nombreuses étaient les locotracteurs de type Crochat, plus puissants, ils desservaient en priorité les forts de Molvange et Rochonvillers le terrain y étant plus pentu.
Sur la ligne Veymerange-Elange, il semble que ce soit plutôt des locotracteurs « Péchot » qui étaient le plus utilisés.[1]
[1] Un des témoins de l’époque, m’a confirmé ce fait, car cette locomotive était très facile à reconnaître aves ses deux cheminées et son panache de fumée. Ce qui fit qu’après le 10 mai, elles lassèrent la place aux autres locotracteurs moins visibles.
Toutefois, les trois types de locotracteurs furent utilisés au gré des besoins.
Après le 10 mai 1940, c'est à dire à la fin de la "drôle de guerre", lors de l'offensive allemande, les transports se faisaient de nuit.
Le 29 septembre 1939, deux trains avec des wagons plats chargés de rails partirent du dépôt principal de Saint-Hubert pour relier le fort du Kobenbusch, terminus de la ligne passant à Veymerange. Les deux trains se suivaient, sur les wagons de rails avait pris place des soldats qui découvraient la ligne. Il faisait beau, et sans doute distrait par le paysage et peu habitué à la conduite de ces trains, le second train percuta le premier qui s’était arrêté brutalement. Un soldat y perdit sans doute ses jambes et quelques uns furent un peu commotionnés !
Cependant chacun connaît la tournure que prit cette guerre, déclarée le 10 mai 1940. Les troupes allemandes avançant rapidement, le 13 juin ordre fut donné du repli définitif des effectifs du dépôt de Saint-Hubert, le dernier train à rejoindre le dépôt fut celui du Kobenbush, via Veymerange, il arriva à Saint-Hubert vers 1h 30 du matin le 14 juin 1940. Tout le dépôt avait été évacué dès 4h, après destruction de l’ensemble du matériel.
Les voies ferrées desservant Rochonvillers, Molvange, Soetrich et le Kobenbusch étaient exploitées par la 3ème compagnie du 221ème bataillon de forteresse qui deviendra en 1940 la 663ème compagnie d’exploitation du 15ème Génie.
Toute la compagnie fut faite prisonnière le 21 juin 1940 dans les Vosges.[1]
Une batterie de DCA, fut installée non loin de cette voie ferrée afin de la protéger et de protéger de même le carreau de la mine de Metzange toute proche.
[1] Dans le bois de Saint-Hélène à Saint-Gorgon.
Une partie de l’ancienne voie ferrée en plein cœur du village avait d’ailleurs un moment porté le nom de cette batterie, la 131ème. (2009 - Photo MP)
Les allemands s’empressèrent de démonter cette voie ferrée militaire ne laissant subsister que le pont sur le ruisseau de Metzange et le ballast des voies encore visibles à certains endroits.
Voilà quelques éléments sur ces deux voies ferrées qui traversaient le ban communal
Bibliographie :
Le dépôt de munitions de Saint-Hubert Hors série de Vie et Culture à Florange
Le petit train du Kobenbusch par Pierre Abel Dufour