1755 – Construction de la nouvelle église Saint-Maximin (3ème et dernière partie)
Nous sommes en juin 1755 et déjà cinq plans ont été établis :
- Morant
- Nollet
- Régemorte
- Louis
- Loriot
Le 10 juin 1755, les officiers de l’hôtel de ville se réunissent avec les députés du bailliage et les notables pour faire un point de la situation comme suit :
« Le 12 octobre 1754, il a été procédé à l’adjudication de la construction de la nouvelle église sur un plan dressé à la hâte par le sieur Nollet sur instructions du maréchal de Belle-Isle et de l’abbé de Saint-Maximin. C’est sur ce plan que l’abbé s’est rendu adjudicataire des ouvrages qui le concernent pour une somme de 55000 livres tournois.
Depuis, il a été remarqué des défauts frappants sur ce plan Nollet par tous les connaisseurs et par le maréchal qui a souhaité qu’il en fut dressé un autre par le sieur Louis, architecte à Metz avec un devis estimatif. Ce plan du sieur Louis a été trouvé par tous, bien supérieur au plan de monsieur Nollet. En conséquence, nous avons demandé à l’intendant de Metz d’envoyer à Trêves, deux députés de la ville pour demander à l’abbé de prendre en charge l’excédent de dépenses qu’exige le nouveau plan du sieur Louis.
L’abbé, bien qu’il convienne que le nouveau plan est supérieur à l’ancien ne veut pas déroger à son engagement pour le premier plan du sieur Nollet. L’intendant et le maréchal ont été informés de ce fait, mais l’abbé, précédant toutes les instances, a traité avec des entrepreneurs de Metz, pour exécuter le plan de Nollet.
La ville a donc résolu de présenter les deux plans à l’intendant de Metz pour le supplier d’agréer le plan du sieur Louis et d’autoriser à faire la dépense qui la concerne par une adjudication au moins disant.
D’autre part, la ville est résolue à faire un caveau sous toute l’étendue de l’église projetée pour les inhumations dont la dépense serait de 6941 livres tournois, cela car le cimetière qui régnera autour de l’église n’étant de chaque côté d’environ 15 pieds, il se trouverait insuffisant pour l’inhumation des habitants.
La ville a aussi contacté les bénéficiaires des chapelles qu’il faudra reconstruire pour voir s’ils seraient disposés à prendre à leur charge ce coût, mais ils ne semble nullement disposés à le faire. »
Dans le même temps la ville envoi ce rapport au maréchal de Belle-Isle, elle en profite pour se justifier des retards et de la non mise à disposition des terrains aux entrepreneurs en attendant le choix définitif d’un plan, sachant que les fondations sont différentes. Elle dit que dorénavant elle se résignera à mettre en adéquation l’ouvrage projeté avec ses finances, mais que le coût des dépassements sera supérieur à 20000 livres tournois. Elle remercie encore le maréchal de tout le temps qu’il consacre à cette affaire.
L’adjudication de la démolition des maisons la Roche et Limbourg a été faite, la maison la Roche a été achetée, celle du sieur Henri Limbourg [1] également pour une somme de 8698 livres tournois fixée [2] par l’intendant de Metz, monsieur Jean Louis François de Caumartin, et non 12000 livres tournois comme le réclamait le sieur Limbourg. Le sieur Limbourg sera libre de récupérer l’ensemble des taques de cheminées de sa maison.
En plus des maisons La roche et Limbourg, il est prévu d’acheter le jardin de Robert Latouche et Agnés Collin son épouse, le jardin est estimé par les experts Jean Louis et Jean Cosse à la somme de 6650 livres tournois, il faudra aussi détruire la gloriette de ce jardin avec son toit en ardoise dont la démolition par le sieur Blanmangin coûtera 53 livres tournois.
Les terres enlevées pour confectionner les fondations seront amenées sur la partie du rempart qui doit être élargie et le reste des terres ira combler des trous derrière l’hôpital militaire.
Le problème du plan définitif devient crucial car les entrepreneurs ont commencé à creuser les fondations d’après le plan du sieur Nollet, comme voulu par l’abbé de Saint-Maximin, les autres plans ont des fondations différentes, aussi il est urgent de se fixer définitivement sur un plan unique et cela va encore nécessiter de nombreux courriers entre la ville, l’abbé et le maréchal de Belle-Isle.
Le 30 juin 1755, le maréchal écrit aux officiers de la municipalité de Thionville pour leur dire qu’en juillet, il viendra sur la frontière et qu’à cette occasion, il verra l’abbé pour essayer de le convaincre et faire évoluer les choses dans le sens de la ville.
Le 23 août 1755, les entrepreneurs ont commencé l’excavation des terres pour les fondations depuis un mois, or rien n’est réglé au niveau du plan définitif. Le maire, Wolkringer et le syndic Petit vont aller à Metz pour obtenir une décision, mais bien qu’ils y soient restés jusqu’au 28 août, ils reviendront sans décision positive, l’abbé restant sur ses positions.
En septembre, on va nommer Pierre Conrard, maître maçon de Thionville pour surveiller les travaux, la composition de la chaux et le fait qu’on n’utilise pas les pierres de démolition des maisons qui sont de mauvaise qualité, ni de pierres bleues, pour ce travail, il sera payé 30 livres tournois par mois.
Le 29 septembre, il semble que l’on ait encore modifié l’emplacement du clocher qui devait être monté au-dessus du portail de la nouvelle église et que l’on veut maintenant mettre à l’autre bout au-dessus du chœur, ce qui obligerait la ville à racheter le jardin de monsieur Soucelier, avocat au bailliage pour une somme de 4530 livres tournois.
Le 9 novembre 1755, le sieur Meaux, entrepreneur avertit qu’il allait commencer la démolition de l’ancienne église et récupérer les matériaux qui sont estimés à plus de 5000 livres, la ville s’oppose à cette décision et demande qu’un plan unique de la nouvelle église soit enfin accrédité et estimé et que l’adjudicataire récupère les matériaux de l’ancienne église.
[1] Conseiller du roi et procureur à la maitrise des eaux et forêts
[2] Expertise faite par Jean Louis architecte à Metz et par Pierre Conrard, maître maçon de Thionville
Comme on le voit, les problèmes s’ajoutent les uns aux autres et en la matière, la ville n’a pratiquement aucun pouvoir de décision, ni les financements nécessaires.
Elle veut absolument un nouveau plan plus conforme à ses attentes, l’intendant et le maréchal de Belle-Isle, la soutiennent et lui ont demandé de contacter le sieur Jean Gauthier, ingénieur du roi de Pologne, duc de Lorraine, pour avoir un nouveau plan, celui-ci très pris ne répond pas à la ville mais à priori, il s’est rapproché du maréchal de Belle-Isle.
Le 17 novembre, on va déménager l’orgue de l’ancienne église au couvent des capucins puisque c’est là que se font provisoirement les services religieux, de même les cloches vont être descendues de la tour et entreposées, pour la démolition du clocher, l’intendant pense qu’il faille le démolir à moitié pour éviter qu’il ne s’écroule tout seul quand l’église sera démolie.
Enfin le 13 mars 1756, la ville reçoit un courrier du maréchal de Belle-Isle qui annonce avoir vu les plans du sieur Gauthier et que la ville va les voir prochainement. Mais voilà, aucun accord ne sera encore trouvé car le clocher au-dessus du chœur oblige à acheter le jardin du sieur Soucelier et éloigne les cloches de la ville, certains pensent que le clocher devrait être au-dessus du portail d’entrée ce qui revient moins cher et rapproche les cloches de la ville, d’autres encore veulent un clocher terrasse mais la ville préfère un clocher pointu en ardoises. Bref, rien n’avance et le sieur Gauthier est fort pris par ses affaires à Nancy et n’a guère de temps à modifier ses plans dans le sens de la ville, appel est donc lancé au maréchal de Belle-Isle.
Le 15 août 1756, le maréchal écrit depuis Compiègne, à la ville de Thionville, qu’il a vu le sieur Gauthier avec le sieur Trouville [1] et le sieur Le Brun [2], professeur de mathématiques à Metz, pour faire avancer le projet. A Thionville, les travaux avancent sans plan dûment validé et sur la base du plan du sieur Nollet, les fondations sont faites, les caveaux sont terminés et les murs du contour sont avancés à 5 ou 6 pieds de hauteur, sauf le mur de devant, le plan du sieur Gauthier remanié n’est toujours pas disponible.
Le 13 avril 1757, les choses semblent avoir progressées, car le sieur le Brun qui ne devait faire qu’une estimation du nouveau plan de l’architecte Gauthier, a repris le plan et propose remplacer le clocher en charpente et ardoises initial par deux tours en maçonnerie au-dessus du portail et par la même d’abaisser la hauteur de l’église de 6 pieds, modifications qui abaissent le coût de l’église.
Le 26 mars 1757, monsieur de Bernage de Vaux écrit au sieur Wolkringer, maire de Thionville qu’il a vu les plans et devis repris de l’architecte Gauthier par le sieur le Brun de Metz et que cela lui semble maintenant prêt à être exécuter, il veut donc les voir rapidement à Metz, le maire et le syndic, monsieur Petit. L’entrevue a lieu le lendemain avec le sieur le Brun qui a donné toutes les explications utiles, puis ils ont vu l’intendant et parlé des difficultés qu’ils ont avec les entrepreneurs, Meaux et Geisler.
[1] Trouville Jean Roch, conseiller du roi, contrôleur général des domaines du roi à Metz et avocat au parlement. Secrétaire en chef de l’intendance, puis commissaire des guerres, seigneur de Ban-saint-Pierre, Clouange et autres lieux, décédé en 1758 à 59 ans, il avait épousé Madeleine Wolkringer, fille du maire perpétuel et lieutenant de police de Thionville.
[2] Louis Gardeur-Lebrun appelé simplement le Brun : Voir la notice en fin d’article.
Le 13 avril 1757, l’assemblée des officiers de l’hôtel de ville se réunit avec les députés du bailliage, les notables, monsieur le baron de Hain, monsieur Patiot alors trésorier, monsieur Potot receveur des finances, le sieur Creite ancien lieutenant général du bailliage, le sieur Gand contrôleur des finances, messieurs Barthel et Soucelier avocats au parlement, monsieur Breistroff, conseiller lieutenant général de police et monsieur Pierre Deschamps maître particulier de la maîtrise des eaux et forêts.
Après avoir vu les plans, le devis et tous les problèmes annexes et entendu l’ensemble des avis, la chambre de Thionville a adopté le plan revu par le sieur le Brun qui avec ses deux tours terrasses maçonnées leur paraît d’un aspect agréable. Toutefois, à l’égard de l’augmentation des prix demandée par les entrepreneurs, la chambre la récuse vu qu’ils ont profité des démolitions, celle du clocher de l’ancienne église, de la sacristie, des cinq chapelles dont quatre voûtées construites en pierre de taille et des murs et des voûtes des caves des maisons démolies. Aussi, la ville demande à monsieur l’intendant de débouter les entrepreneurs de cette demande d’augmentation.
Le 11 décembre 1757, monsieur de Bernage [1] consent à ce que la ville qui lors de la publication de renouvellement du fermage des octrois, n’avait reçu aucune offre puisse ne les adjuger que pour un an et ainsi pouvoir avoir de meilleurs prix les années suivantes quand les circonstances de la guerre [2] et le défaut de garnison en ville seront passés.
Enfin la construction de l’église reprend et se poursuit pendant l’année 1758 et 1959 la coupole sera peinte le 30 mai 1759, par Charles Collignon, peintre de Thionville qui sera payé pour se faire 1200 livres. Enfin, le 3 novembre 1759, un courrier part vers le maréchal de Belle-Isle lui signalant que l’église de Thionville est achevée et que l’abbé de Saint-Maximin de Trêves voudrait venir dire la première messe, le maréchal en fait part à l’évêque de Metz en lui demandant son avis mais en l’incitant à accepter ce qui pourrait pousser l’abbé à peut être plus de générosité sur sa participation financière.
Toutefois, un courrier du 29 décembre 1759, arrive à la cure de Thionville en provenance de l’abbé de Saint-Maximin de Trêves. Il explique que malheureusement, il ne pourra se déplacer à Thionville pour l’inauguration car il est trop occupé à ses affaires et loin de son monastère. Il invite donc l’évêque de Metz à nommer qui il veut pour participer à cette consécration mais que peut-être au printemps, il pourra venir à Thionville pour une cérémonie.
Le 3 décembre 1759, l’évêque de Metz demande à l’archiprêtre et curé de Florange de faire une visite de la nouvelle église et de lui faire un rapport sur son état, pour voir si tout est en ordre. Ce rapport sera fait le 3 janvier 1760 et conclura à un bon état de la nouvelle église mais contestera l’emplacement des fonds baptismaux et diverses petites choses, mais dans l’ensemble l’église peut être consacrée ce qui sera fait courant 1760.
Le maréchal de Belle-Isle décèdera peu de temps après l’inauguration de l’église soit le 22 janvier 1761 à Versailles.
[1] D’une grande famille de conseillers d’état, maître des prévôts de Paris. Bernage de Vaux fut intendant, c’est lui qui fit venir Louis Gardeur-Lebrun à la sous-direction des travaux et communications à Metz.
[2] Guerre de 7 ans (1756 à 1763) qui fut pratiquement une des premières guerres mondiales tant les nations et les pays impliqués furent nombreux et qui vida en partie Thionville de ses troupes et des ses revenus.
Voilà notre nouvelle église Saint-Maximin construite et consacrée, mais voyez vous les ennuis ne sont pas terminés pour la ville car le 25 février 1762, les entrepreneurs ayant construit l’église vont écrire à l’abbé pour lui dire que leur dépense a été bien plus forte que prévue, celui-ci leur propose 100 louis de plus, qu’ils refusent, se réservant d’aller en justice, après avoir refait de nouveaux toisés des ouvrages.
Le sieur Nollet réclame le 8 novembre 1762, 226 livres qui lui seront payées, pour des mesures faites par lui pendant les travaux.
Le 12 novembre 1762, la ville apprend la mort de l’abbé de Saint-Maximin, ce qui ne va rien arranger. Les entrepreneurs, au vu des nouveaux toisés, vont porter l’affaire en justice et le 5 janvier 1767, la ville de Thionville sera condamnée, par un arrêt du conseil d’Etat à payer plus de 55000 livres de supplément, ce qui l’obligera à refaire un emprunt et à taxer plus fortement, les plus imposables de ses habitants, dans lesquels on trouve principalement des marchands, un cabaretier, un tanneur, le directeur de la poste aux lettres, un apothicaire et un chirurgien, une rentière et un député.
De nombreux plans successifs furent établis avec des variantes et des devis estimatifs, soit un travail important qui sera finalisé par le sieur le Brun, professeur de mathématiques à Metz, qui aura l’idée des deux tours clochers en terrasse, variante qui amènera une économie certaine ce qui avec la lassitude de toutes les parties, amènera à la réalisation concrète de l’église.
Ici, se termine le récit un peu long et technique de la construction de la nouvelle église Saint-Maximin qui nous montre un investissement important de la ville, de ses habitants et de ses officiers municipaux tant au niveau de leur implication personnelle, principalement à ne pas lâcher sur la qualité architecturale qu’il voulait pour la nouvelle église de leur ville et cela malgré les difficultés financières, et alors qu’ils ont, en fait, si peu de pouvoir de décision. Pouvoirs qui sont eux, aux mains de l’intendant et du maréchal de Belle-Isle, dont il faut ici se souvenir, de son implication et de son suivi bienveillant à l’égard de la ville.
Louis le Brun :
Exactement, Louis Gardeur-Lebrun né le 18 septembre 1714 à Metz, son père Sébastien était charpentier puis entrepreneur. Louis le Brun s’engagea très jeune dans le régiment Dauphin Dragons puis fut nommé ingénieur géographe.
Ensuite, il ouvrit à Metz une école de mathématiques où étudièrent aussi deux de ses frères. En 1752, il est nommé ingénieur de la ville de Metz puis, il enseignera les mathématiques à l’école royale d’artillerie. Monsieur de Bernage de Vaux, intendant, le fera nommer en 1756 à la sous-direction des travaux et des communications où il fut l’adjoint de Jean Gauthier, architecte du roi de Pologne. Après le décès du maréchal de Belle-Isle, il dirigera le service des travaux et communications.
Il arrêta ses cours de professeur de mathématiques en 1781 et décéda le 19 février 1786 à Metz où il fut inhumé.
NB : Cette courte notice montre bien que Louis Gardeur – Lebrun, dit le Brun, avait des relations étroites avec monsieur de Bernage de Vaux, le maréchal de Belle-Isle et Jean Gauthier, architecte du roi de Pologne, tous impliqués fortement dans la construction de la nouvelle église Saint-Maximin de Thionville.