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1676 à 1708 - Thionville – Les fortifications (5ème et dernière partie)

Publié le par Persin Michel

En ce début d’année, nous allons clore cette série d’articles sur les travaux faits aux fortifications de Thionville entre 1634 et 1700. Ces travaux ont été commandés au capitaine Rodolphe Saltzgueber qui les a mis en œuvre. Ce capitaine de deux compagnies suisses était surtout connu pour avoir construit le premier pont (couvert) de Thionville. Cette série d’articles aura révélé son implication dans l’ensemble des travaux de fortification de la ville dès son annexion [1] à la France.

 

[1] Cette fois-ci définitive jusqu’à la guerre de 1870 puis de 1940

Carte de 1745 où la  rive droite est encore sous fortifiée et sans le canal de dérivation (Archives Nationales- Paris)

Carte de 1745 où la rive droite est encore sous fortifiée et sans le canal de dérivation (Archives Nationales- Paris)

L’acte du 10 juillet 1676, résumé ci-après, mentionne de nouveaux intervenants, dont je vais citer les titres, pour la construction d’une redoute carrée ou trapèzoïdale.

Le sieur Charles Nicolas de Soucy, écuyer et seigneur de Chambaux, conseiller du roi et commissaire ordinaire et provincial des guerres et parties pour sa majesté, conduisant la police des troupes et gens de guerre tenant garnison dans les Trois Evêchés, Thionville et Sierck et stipulant que monseigneur de Morangis, conseiller du roi en tous ses conseils, intendant de la généralité de Metz, a passé marché avec Rodolphe de Saltzgueber, capitaine de deux compagnies suisses et major de brigade au service de sa majesté pour qu’il construise en état de perfection une redoute en maçonnerie de forme carrée ou de trapèze suivant les dimensions qui lui ont été données par Monseigneur de la Haye [1], lieutenant général des armées du roi et commandant de Thionville qui juge cette redoute utile et nécessaire.

 

[1] Jacob Banzuzl de la Haye, maréchal de camp, blessé à mort le 27 juin 1677. Cité pour sa défense de la ville de St-Thommé ou Mélia en Inde en 1674.

Le marché a été passé en présence du sieur de Saint-Lô, ingénieur général des fortifications de Lorraine et frontières.

Le marché stipule que la toise sera payée 27 livres au sieur Saltzgueber mais qu’on devra lui fournir, les pierres de taille directement en place, qu’on paiera les voitures et chariots, 3 escalins [1] chaque voiture ayant des dimensions ordinaires et que l’on fournira les ouvriers, la chaux et le sable en fonction des mesures (toisé) qui en sera fait.

Le 10 août 1676, le sieur Saltzgueber s’oblige envers sa majesté, au travers du sieur Louis de Bonafoux [2], capitaine au régiment d’Anjou et ingénieur à la conduite des travaux du roi à Thionville, de construire ce qui suit :

Premièrement :La charpente pour former une galerie en manière de chemin couvert dans la redoute de maçonnerie qui a été faite dans le petit ouvrage à la tête de la digue sur la rivière de la porte de Metz [3] avec les dimensions nécessaires pour pouvoir tirer derrière le parapet.

Il fera aussi deux portes à ladite redoute en madriers de chêne de deux pouces et demi d’épaisseur.

Il fera la charpente utile pour construire le pont sur le fossé de la demie lune à la tête du grand pont sur la Moselle avec deux barrières aux deux bouts du pont et une bascule [4]au milieu. Il fournira donc toutes les ferrures, les chaînes, bandes, verrous et clous pour les barrières et planchers de sapin de la redoute.

Il fournira les soubassements de pierre de taille pour y mettre les piliers avec des consoles aussi de pierre de taille pour soutenir les bois.

Pour cela, il recevra 500 livres tournois payables à proportion de l’avancement des ouvrages.

Le 10 février 1677, nous avons un acte qui nous donne plus de précision sur le sieur Saltzgueber :Est présent, Rodolphe Saltzgueber, capitaine au régiment Suisse de Salis et de deux autres compagnies franches de la même nation (Suisse) et major de brigade d’infanterie de sa majesté en garnison en cette ville de Thionville ainsi que le sieur Pierre Jean Jacquet dit la « Verdure » [5] et le sieur Dominique Gilant, tous ont promis et se sont engagés, l’un pour l’autre et solidairement envers sa majesté ,au travers de monseigneur Thomas de Choisy, brigadier d’infanterie des places de Lorraine et marches, de construire quatre redoutes de maçonnerie en la forme et manière qu’on leur a indiqué et de faire le transport de toutes les terres nécessaires pour former les terre-pleins et parapets, d’en faire l’engazonnement comme aussi celui des parapets du corps de la place.

 

[1] L’escalin est une monnaie d’argent des Pays-Bas valant 40 liards ou 10 sous

[2] Signe très lisiblement : Bonnafau

[3] Le canal de la Fensch à Beauregard

[4] C’est à dire une partie mobile du genre pont-levis.

[5] Un grand nombre de soldats de cette époque avaient des surnoms.

Ils devront aussi faire le gazon des chemins couverts, des demi-lunes et de la contre-escarpe, d’en relever les parapets, de faire quatre petites digues aux endroits désignés pour les inondations, les digues seront retenues par devant en construisant un mur. Il sera fait aussi un mur de clôture autour du magasin neuf et du moulin de la porte de Metz et de planter toutes les palissades autour de la contre escarpe suivant l’alignement des parapets comme le tout est prescrit dans les devis.

Pour tous ces travaux les entrepreneurs devront fournir tous les matériaux nécessaires :

À savoir, les peines d’ouvriers, le sable, la chaux, les moellons, les pierres de taille, le bois, le gazon, les chariots, les outils et ainsi ils seront payés 30 livres tournois de la toise cube pour toutes les sortes de maçonnerie, grosses ou petites, y compris les pierres de taille et ils auront 7 sols et 6 deniers de la toise cube de terre et 45 sols de la toise carrée de gazon, plus 18 deniers pour les palissades.

Ils recevront encore 2700 livres pour les réparations à faire au pont comme le stipule le mémoire signé par le sieur de Choisy et cela à la réception des travaux au pont.

L’acte qui suit, daté du 11 février 1677, soit le lendemain de l’acte précédent, va nous éclairer sur l’articulation de ces différents marchés et contrats.

Jean Pollin, sergent de la compagnie franche du sieur Saltzgueber, Antoine Schmit et Henry Graber, soldats de ladite compagnie et tous les trois maître maçon, se sont engagés envers le sieur Saltzgueber, le sieur Pierre Jean Jacquet et Dominique Gilant, entrepreneurs des fortifications des villes de Metz et de Thionville, pour faire toutes les maçonneries et pierres de taille que lesdits Salztgueber, Jacquet et Gilant ont entrepris pour le roi en cette ville de Thionville, le tout conformément aux plans, profils et devis signés par le sieur de Choisy et les entrepreneurs.

Pour ces travaux, ils seront payés 4 livres et 10 sols pour chaque toise cube, les matériaux étant fournis par les entrepreneurs. Ils devront rendre compte à la fin des travaux.

On voit bien là que les sieurs Saltzgueber, Jacquet et Gilant sont les entrepreneurs des fortifications des villes de Metz et de Thionville, qu’ils passent des marchés avec les directeurs des fortifications ou ingénieurs du roi pour la Lorraine. Une fois les marchés signés pour une certaine somme, eux même repassent un contrat avec leurs propres soldats pour effectuer physiquement les travaux et bien entendu pour une somme bien moindre car nous sommes ici dans un rapport de 30 livres à 4 livres la toise cube.

Ces relations peuvent nous sembler étranges [1] au sein d’un même régiment ou compagnie. Effectivement, des contrats [2], se passent moyennant finance, entre membres de la même armée, de la même compagnie et entre personnes qui ont un lien de subordination fort car militaire. Salztgueber est capitaine, Jacquet est lieutenant, Pollin est sergent, Schmit et Graber sont simples soldats.


[1] Dans nos régiments de pionniers ou de génie, ce genre de fonctionnement semblerait complétement anachronique.

[2] Devant notaire

Le 27 février 1677, Nicolas Larmit, Nicolas le Nut, Etienne Baudouin et Jacques la Cour, tous bourgeois de Metz s’engage solidairement envers les sieurs Saltzgueber, Pierre Jean Jacquet et Dominique Gilant, entrepreneurs des fortifications des villes de Metz et Thionville, d’effectuer tout le transport des terres qu’il faudra amener à Thionville pour former, les parapets, banquettes, batteries des bastions à raison de 32 sols la toise cube de terre. Ils s’engagent aussi à faire tout le gazonnement du dehors et dedans de la place à raison de 40 sols la toise quarrée de gazon.

Les entrepreneurs fourniront les voitures, le gazon, les outils, le bois des palissades.

Le 1er septembre 1677, le sieur Balthazar Leyendecker [1], maître recouvreur de la ville de Thionville, s’engage envers Pierre Jean Jacquet, entrepreneur des travaux de sa majesté en cette ville de faire couvrir de tuiles plates, le magasin à poudre à la gorge du bastion porte de Metz, lesquelles tuiles seront posées avec du bon mortier et des crampons entaillés dans la pierre de taille. Il devra aussi couvrir la grange au moulin à chevaux [2] de tuiles creuses de la même façon.

Pour cela il sera payé 20 écus blancs payable à proportion du travail qui se fera sans discontinuer. Le sieur Jacquet dit la « verdure » fournira les matériaux utiles.

Le 24 juin 1680, Edmond Weyrich, maire de la Basse Yutz et Jean Nicolas Weyrich, batelier à Thionville ont promis, solidairement, envers Pierre de la « verdure » entrepreneur des travaux du roi à Thionville, de voiturer incessamment avec deux bateaux, un fourni par Jean Nicolas Weyrich et l’autre par le sieur de la « verdure », toutes les pierres que ledit la « verdure » fera arracher à la carrière d’Illange sur la Moselle et que les gens du sieur la « verdure » chargeront et déchargeront des bateaux, le tout moyennant 3 livres et 10 sols par bateau.

Le sieur de la « verdure » n’est autre que le lieutenant Pierre Jean Jacquet dit la « verdure ».

NB : On remarquera que le sieur de Saltzgueber n’est pas cité dans cet acte, pourtant sa compagnie suisse est toujours en garnison à Thionville, comme le montre un autre acte sans rapport avec les fortifications, qui désigne un certain Pierre Jacob, tambour dans le régiment de Saltzgueber un autre acte de 1678 cite lui, un certain Pierre Jacque également tambour dans le même régiment suisse.

Enfin, le dernier acte de cette série est daté du 22 décembre 1708. Les protagonistes ont changé, nous avons là le sieur Jean Well, maître charpentier de Thionville et son épouse Marguerite Simonis lesquels promettent, solidairement, au sieur Joseph de la Vollée, entrepreneur des fortifications du roi en cette ville, de faire les travaux définis et d’en assurer l’entretien suivant un contrat qu’il leur a été lu et cela pendant dix années. Moyennant quoi, ils percevront tous les ans, payable de six mois en six mois la somme de 900 livres tournois et devront pour sureté, mettre tous leurs biens meubles et immeubles en gage.


[1] Ce recouvreur (couvreur) bourgeois de Thionville a refait le toit de l’église de Hayange en novembre 1662. Ces descendants, entrepreneurs connus à Thionville, porteront le nom de Leydecker

[2] Le moulin à chevaux se trouvait en la rue Brûlée dans le magasin du roi, il était mû par des chevaux et servait à faire de la farine quand le moulin de la ville chômait ou était arrêté.

Ce dernier acte décline une autre façon de travailler, par la signature d’un contrat d’entretien annuel valable dix ans. C’était en quelque sorte un « fermage ou bail ».

Le capitaine Rodolphe Saltzgueber et les deux autres entrepreneurs, Pierre Jean Jacquet et Dominique Gilant, ne sont plus concernés par les derniers actes. Le régiment de Salztgueber semble avoir quitté Thionville.

Rodolphe Saltzgueber, militaire et bâtisseur a construit le premier pont de Thionville et assuré pendant de nombreuses années la construction et l’entretien des fortifications de la ville de Thionville.

Récapitulatif de sa présence à Thionville :

En 1668, les actes ne le mentionnent pas.

En 1669, une revue militaire des deux compagnies suisses est faite sur la place d’armes de Thionville, elle marque son arrivée à Thionville.

1673, construction par ses soins du premier pont de Thionville, pont couvert en bois sur soubassements de pierre de taille, à l’image des ponts couverts de la Suisse.

De 1673 à 1676, il va participer et superviser tous les travaux de fortifications de la ville.

Au début de l’année 1677, il sera secondé par son lieutenant Pierre Jean Jacquet dit la « verdure » et par Dominique Gilant. Ils porteront le titre d’entrepreneurs des fortifications du roi pour Metz et Thionville.

Enfin, en septembre 1677, il a passé la main à ses seconds et n’apparaît plus dans les actes concernant les fortifications de la ville.

Bien entendu, de 1717 à 1789, les fortifications de la ville vont continuer de se perfectionner et de s’étendre, principalement sur la rive droite de la Moselle, vers Yutz et son double couronné. On y verra alors à l’œuvre, les ingénieurs Duportal, Tardif, Cormontaigne et Filley. L’ensemble de ces ingénieurs, comme Saltzgueber et ses compagnies suisses ont œuvré à partir de plans en partie élaborés ou au moins validés par Vauban.

Rappel:  Les articles sur les fortifications et le capitaine Saltzgueber sont tirés d'un ensemble d'actes notariés : ADM 3E7534-3E7535 (Helminger)

Dans le prochain article nous verrons plus en détail qui était Rodolphe de Saltzgueber et quelle fut sa vie après avoir quitté Thionville.

 

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