1763 – THIONVILLE - La justice de Veymerange
Comme convenu, nous nous retrouvons en ce mois d’octobre pour continuer nos petites découvertes de l’histoire de notre bonne ville de Thionville et des villages alentours.
Afin de reprendre en douceur, je vais vous présenter un document adressé à la justice de Veymerange [1] par une pauvre veuve du village ne pouvant payer ses dettes et voir comment cette justice a statué sur sa demande.
Pour rappel, sous l’ancien régime [2] existaient dans nos villages des justices civiles chargées de régler les différents entre les villageois. C’étaient des justices « seigneuriales » mais qui ne géraient que les affaires mineures, une justice de proximité comme nous allons le voir.
Pour l’occasion, je vais vous présenter le document expurgé des formules juridiques nombreuses et redondantes qui pourraient vous le rendre indigeste !
Le document est adressé à messieurs les maires et échevins de la haute justice [3]
de Weymerange
Catherine Granier, supplie humblement les membres de la justice de prendre en considération ce qui suit :
« Veuve de Martin Oswalt qui était laboureur à Weymerange, j’ai le grand malheur d’avoir perdu mon mari le 26 mars 1763. Mon mari défunt avait acheté le 24 janvier 1760, par contrat devant le notaire Probst de Thionville, a son frère Antoine Oswalt, plusieurs héritages situés audit village de Weymerange pour une somme de 600 livres tournois et par un autre contrat de vente du 7 février 1760, il avait acheté à ce même frère, Antoine Oswalt, une maison, jardin et portion de grange situés aussi au village de Weymerange et cela pour une somme de 200 livres.
Lors de ces achats, ledit Antoine Oswalt, mon beau frère, était encore garçon, majeur d’ans et jouissant de tous ses droits [1]. Son intention était d’aller rejoindre l’armée, en conséquence; il disait n’avoir pas besoin d’argent et que son frère Martin, mon mari, pouvait garder les sommes qu’on lui devait, par devers lui.
Antoine Oswalt étant revenu de l’armée l’année dernière, il voulut être payé desdites sommes, soit de 800 livres tournois. Or, mon défunt mari, Martin Oswalt, n’était plus en mesure de payer ces sommes comptant, en conséquence; il passa une obligation devant le notaire Hennequin de Thionville, le 30 mars 1762, au profit de son frère Antoine Oswalt pour une somme de 700 livres tournois, payable en deux termes :
300 livres tournois payables dans un an
400 livres tournois payables dans deux ans
Il a aussi signé un billet de promesse d’un montant de 95 livres payable dans un an.
Mon mari étant décédé, moi sa veuve, Catherine Granier, je ne suis pas capable de payer ces sommes et comme je suis menacée de frais et de poursuites de la part d’Antoine Oswalt, mon beau frère, je propose l’arrangement suivant :
Je voudrais relaisser à mon beau frère Antoine Oswalt, tous les biens et héritages que mon mari Martin Oswalt lui a achetés en 1760.
Cette demande est « montrée » au procureur d’office de la seigneurie de Weymerange qui autorise le maire de Weymerange, Damien Weis à traiter l’affaire.
Le maire, Damien Weis, ordonne le 25 avril 1763, qu’une assemblée de parents, tant paternels que maternels, soit faite par devant la justice, à deux heures de relevée [2] pour délibérer sur la requête de Catherine Granier.
En vertu de quoi, Jean Guillaume, sergent résident à Florange, va apporter assignation à Jean Poulmaire, Marthis Oswalt, Nicolas Weynant et Nicolas Oswalt, tous habitants de Veymerange et à Jean Granier, maréchal ferrant demeurant à Guénange pour qu’ils comparaissent à Veymerange et qu'ils parlent en personne à l’heure dite. »
Il est précisé que les débats se feront en langue allemande.
Voyons maintenant le compte rendu de cette réunion de la justice de Veymerange :
Le 25 avril 1763, l’après midi
Par devant nous maire et gens de justice de la terre et seigneurie de Weymerange est comparu Catherine Granier, veuve de Martin Oswalt, vivant, laboureur demeurant à Weymerange.
Elle nous a dit qu’en vertu de notre ordonnance de ce jour, elle avait fait assigner à comparaitre par devant nous ce jour :
Jean Poulmaire, manœuvre de Weymerange, oncle paternel audit mineur Mathis Oswalt
Jean Granier, maréchal Ferrant demeurant à Guénange, oncle maternel.
Nicolas Weynant, demeurant à Weymerange, cousin germain à cause de sa femme.
Nicolas Oswalt, tailleur d’habits, demeurant à Weymerange, aussi cousin germain.
L’assemblée constituée doit donner son avis sur la nécessité qu’il y a d’autoriser ladite Catherine Granier, veuve de Martin Oswalt, afin d’être dégagée et libérée de ses dettes, de relaisser les mêmes biens et héritages que son défunt mari avait achetés par actes notariés devant le notaire Probst de Thionville en 1760 pour la somme de 800 livres, à Antoine Oswalt son beau frère, garçon majeur et qui n’a pas été payé.
Catherine Granier expose en langue germanique pourquoi elle ne peut payer et signe d’une croix, ne sachant écrire, en tant que tutrice naturelle des enfants mineurs qu’elle a procréés avec Martin Oswalt, son défunt mari.
L’assemblée ainsi réunie, tous parents des enfants mineurs de Catherine Granier, prêtent serment de bien fidèlement et en bonne conscience, donner leur avis sur la demande de Catherine Granier.
Après délibération, tous sont d’avis que pour le bien des enfants mineurs et pour celui de leur mère, Catherine Granier, afin qu’elle soit libérée de ses dettes, elle soit autorisée à relaisser à Antoine Oswalt, son beau frère, les biens et héritages que lui avait acheté son défunt mari, Martin Oswalt en 1760 et cela pour la même somme de 800 livres tournois.
En conséquence, nous gens de justice de Weymerange, autorisant Catherine Granier à relaisser lesdits biens à Antoine Oswalt son beau frère qui lui donnera quittance.
Tous ont signé ou fait leur marque avec notre procureur d’office et notre greffier, commis en la personne de Dominique Pierre Winse, assermenté, notre greffier ordinaire étant empêché.
Comme on peut le voir, l’affaire fut relativement vite jugée, par des personnes du village et par la parenté, en prenant en compte l’intérêt des enfants mineurs à charge de leur mère. Au final, le jugement est empreint de bon sens.
Ce document illustre de façon claire ce que les historiens [1] ont constaté, ces justices villageoises étaient de véritables justices de proximité auxquelles les habitants des villages avaient un accès facile et une "relative confiance.
Comme nous l’avons signalé dans les notes de bas de page, au début de l’article, le village de Veymerange, fut érigé en haute justice le 19 juin 1704, auparavant, siège d’une seigneurie foncière, il dépendait en partie de la seigneurie de Volkrange.
Son premier seigneur haut-justicier fut Charles Bernard de Failly, capitaine de cavalerie au service du roi, également seigneur de Lommerange et cela jusqu’en 1716.
C’était un « vrai » militaire qui participa à de nombreuses batailles où il perdit d’ailleurs la vie. De fait, il était très peu présent, ses seigneuries étaient en quelque sorte gérées par procuration.
En 1760, le seigneur en était un certain Plateau [2], apparenté à la famille De Wendel, il ajouta à son nom, le nom du village, se faisait appeler Plateau de Veymerange. Il fut conseiller au parlement de Metz, son fils reprit la seigneurie puis ses neveux en furent expropriés pour dettes. La famille Plateau de Veymerange défraya la chronique au sujet de l'affaire des Indes.
Le maire Damien Weis [3] avait en charge la justice foncière, aidé en cela par deux échevins, un sergent, parfois un greffier.
Il était maréchal ferrant à Veymerange où il tenait la forge héritée de son père, Mathis Weis, le 9 février 1750
* Tiré des documents du bailliage de Thionville - B4418
NB : On remarque qu’en 1760, la langue germanique c’est à dire le « Francique luxembourgeois » était la langue la plus usitée à Veymerange, mais aussi dans les villages environnants.[4]
[1] Ceux qui étudient les documents d’époque
[2] Prit possession de la seigneurie en 1751, son fils fit reprise en 1776 et ses neveux furent expropriés en l’an X, le 25 pluviôse.
[3] La famille Weis ou Weiss s’était appelée quelques années auparavant la famille « Blanc » quand la volonté et la « mode » était à la francisation des noms à consonance germanique. Ainsi lors de prise de bail le 12 décembre 1676 d'une terre à Volkrange.
[4] Thionville n’est française officiellement que depuis 1759 et dans les faits depuis 1643.