1630 – La seigneurie de Mirabelle, châteaux, droits et devoirs
Dans mon article sur la charte de franchises de Thionville donnée aux habitants en 1239 par Henri V dit le Blondel, comte de Luxembourg, je terminais l’article par une question, à savoir si le peu de droits octroyés aux habitants avaient évolué au cours des siècles vers plus de droits et moins de devoirs ?
Un document trouvé récemment aux archives départementales de la Moselle dans le fonds de la prévôté peut nous aider à répondre à cette question.
C’est un second compte fait de la seigneurie de Mirabelle en 1630 par l’officier de ladite seigneurie, Nicolas de Saint-Thiébault, pour monseigneur le comte de Créhange, seigneur du lieu.
Ce compte est un état décrivant la seigneurie avec tous ses biens, droits et devoirs,
Les premières pages du document sont en mauvais état, le document est écrit en français, pas toujours facile à lire et assez volumineux. (Ci-contre une des premières pages)
Cette seigneurie est une des plus importantes et une des plus anciennes de la région thionvilloise, puisque c’est en fait la seigneurie de Meilbourg dont le château surplombait la Moselle à Illange.
Le nom de Mirabelle était très usité dans le pays messin. Ainsi le premier château de la famille, une forteresse, dépendait en 1147 de l’évêque de Metz, Etienne de Bar, qui le donna en fief à Giselbert de Miribel. La seigneurie était connue sous plusieurs noms : Miribel, Mirabel, Mirabelle, Millenberg, Mulsberg, Meilbourg étant au final le plus employé à Thionville [1].
[1] Tout du moins aux époques plus récentes
Les seigneurs de Meilbourg
descendaient probablement des seigneurs de Rodemack avec qui ils restèrent très liés. Ils tenaient leur domaine d’Illange de l’évêque de Metz mais du fait de leur situation géographique, ils dépendaient du comté de Luxembourg comme c’est précisé dans le document. Comté puis duché luxembourgeois où ils furent très actifs, participants à tous les actes importants. (Ci-contre leur blason)
A l’origine, existait donc à Illange une forteresse qui sera démolie sur ordre d’Henri II [1], lors d’une assemblée de la justice de Thionville en 1003 qui ordonna la destruction de la forteresse de Mulsberg comme étant un repaire de pillards avec interdiction de la reconstruire.
Plus tard, le château fut reconstruit et donné par l’évêque de Metz en 1147 à la famille Miribel. Il sera encore détruit en 1377 par les messins avec qui les seigneurs de Meilbourg engagaient le fer régulièrement sous divers pretextes.
Quoiqu’il en soit, hormis la forteresse d’Illange, la seigneurie englobait de nombreux villages autour de Thionville, au Luxembourg et au comté de Bar. Les différents seigneurs furent généreux avec plusieurs abbayes principalement avec celle de Marienthal.
Au fil du temps, la coutume de Thionville, les héritages successifs, les revers de fortune amenèrent la dispersion des différents biens de cette grande famille et le document de 1630 n’a vraisemblablement servi qu’ à faire le point sur la valeur de la seigneurie afin de mieux la vendre, ce qui fut fait la même année pour 24000 rixdallers à Jean de Boland, maire de Cologne.
Déjà en 1630, la seigneurie n’appartient plus en totalité à un seigneur de Meilbourg mais à plusieurs seigneurs dit comparsonniers et les revenus se partageaient entre eux.
Ces différents seigneurs sont souvent apparentés par les femmes, chacun ayant une petite partie de la seigneurie. Le comte de créhange a, la plupart du temps, la moitié ou un quart de la seigneurie, les autres se partageant un quart et parfois le roi a droit à une partie également, ce qui fait un domaine très morcelé avec nécessairement une organisation juridique complexe. Il faut avoir en tête qu’une partie des habitants étaient sujets du cimte de Créhange, les autres des co-seigneurs.
Je n’en ai retenu que la partie introductive qui nous apporte des renseignements de première main pour l’histoire de Thionville et la partie générale qui décrit le corpus régissant les droits et les devoirs des seigneurs et des habitants.
Le seigneur est le Comte de Créhange.
Il s’agit de Pierre Ernest de Créhange marié en 1621 à Marguerite de Coligny [2]. Fils de Christophe de Créhange et de d’Anne de Bayer de Boppart dont il avait hérité une partie de la seigneurie le 16 mai 1628.
Pierre Ernest de Créhange est alors seigneur de Hombourg, conseiller d’état de son altesse de Lorraine, bailli et gouverneur de la province d’Allemagne
Son officier et surintendant est Nicolas Saint-Thiébault, c’est lui qui fait rédiger le document.
Il est précisé que la seigneurie se règle et se conforme aux coutumes du duché de Luxembourg et que la monnaie qui a cours dans la seigneurie est celle du Luxembourg avec 1 franc à 10 sols et 1 sol à 16 deniers. Les mesures sont celles de Thionville, pour le grain 10 bichets font 1 maldre, le bichet fait 4 fourraux et pour le vin 1 foudre contient 6 hottes, 1 hotte fait 4 mesures, 1 mesure fait 4 sétiers ½ et le sétier fait 4 pots.
La seigneurie haute, moyenne et basse a un signe patibulaire en bois comportant trois piliers dans son district, un sur le chemin de Stuckange, un près du bois de haute-futaies et un entre la communauté de Basse-Yutz et la campagne labourable.
La seigneurie est partagée en tous ses fonds et habitants, la moitiée entière au comte de Créhange et l’autre moitié au seigneurs comparsonniers : de Raville, de Palland, de Schwartzbourg et un autre illisible. Mais le comte de Créhange garde la prééminence et prorogation dans toute l’étendue de la seigneurie.
De la seigneurie dépendent les villages d’Illange, Haute-Yutz, Basse-Yutz, Kuntzig, Garche, Molvange, Manom, Metzerwisse… Les seigneurs ont la haute, moyenne et basse justice sur tous les bans et finages et sur les habitants, ceux qu’on appelle « Schafftleuth » qui sont de condition basses et servilles et les autres appelés « zintzeleuth » dont la condition est expliquée dans les coutumes.
Le vieux château de la seigneurie est situé sur le mont du village d’Illange, mais il est présentement ruiné et personne n’y réside. La moitié appartient au comte de Créhange et l’autre moitié aux seigneurs associés.
Le comte de Créhange a un autre château bâti à neuf, situé dans la ville de Thionville et qui lui appartient entièrement sans part d’autrui. Il a de plus, la grosse et forte tour qui est sur le rempart et la tour « Mamille » qui est située devant ledit château, laquelle tour est pour l’instant possédée par le roi pour y conserver ses poudres et munitions de guerre jusqu’à ce qu’il soit pourvu d’un magasin ou d’un arsenal.
Le document est daté de 1630 soit 72 ans près le siège et la prise de la ville par les français en 1558 où est apparue la première mention de la Tour aux Puces.
Le rédacteur de ce compte est l’officier de la seigneurie, il habite le plus souvent dans ce château de Thionville, comme on le verra dans un prochain article. On peut donc lui accorder quelques crédits lorsqu’il parle de deux tours, une grosse et forte tour sur le rempart et une autre dite « Mamille » qui est devant le château et sert de magasin à poudre, donc probablement parle-t-il de la « tour aux puces » qui est connue pour avoir servi de magasin aux poudres. Pourquoi ce nom de « Mamille » et qu’en est-il de l’autre grosse et forte tour du rempart ?
Quand je disais que cette tour aux puces avait encore bien des secrets !
On parlera ici du village d’Illange en sachant que pour les autres villages de la seigneurie, les devoirs sont identiques.
Tous les habitants d’Illange, indifféremment [3] sont obligés de faire toutes les corvées nécessaires et demandées pour le rétablissement et la réédification du vieux château et ceux qui sont les sujets du comte de Créhange sont tenus de faire les corvées de chariots et de bras pour les réfections et entretiens du château de Thionville, tours, granges, étables [4]et ils recevront pour chaque chariot une livre de pain ou à peu prés et pour les manouvriers travaillant toute la journée 3 livres de pain.
Tous les habitants doivent encore labourer les terres du domaine de la seigneurie aux dires et injonctions des gens de justice qui sont tenus d’y asssister et cela autant de fois que la saison le demande et même d’y amener tous les fumiers et amendements dudit château neuf de Thionville, semer, herser les terres. Les gens de justice toucheront pour l’année 1 florin d’or limité à 28 sols et chaque laboureur recevra une michette de pain d’une livre et sera obligé de labourer tout le domaine avant de retourner avec ses chevaux à son logis, il devra être prêt au devoir au premier commandement qui lui sera fait.
[1] Henri II, dit « le Boiteux » ou « le Saint », né en mai 973 et mort en 1024
[2] Petite fille de l’amiral de Coligny assassiné à lors de la Saint-Barthélemy le 24 août 1572
[3] C’est à dire les sujets du comte ou les sujets des seigneurs comparsonniers.
[4] On remarquera que le rédacteur emploie le pluriel pour Tours, granges et étables.
Les habitants doivent aussi faucher les foins, moissonner les grains et les mener dans la grange comme tous les amendements nécessaires à la vigne du seigneur au ban d’Illange. Vigne qu’ils devront labourer, couper et cueillir les raisins à profit et en conduire et mesurer le vin au lieu de Hombourg (Vue ancienne du château de Hambourg)
ou autre résidence du comte jusqu’à une journée de distance à charge de droits qui sont pour les faucheurs d’une michette de pain et autant à chacun des faneurs, les moissonneurs et lieurs de grains recevront du potage avec un morceau de lard et 3 michettes de pain chacun avec des ails, si les jours sont maigres, ils auront du potage, du fromage et des œufs à la place du lard. Les vendangeurs seront traités de même et ceux qui labourent la vigne de même, s’ils ne viennent pas labourer, ils donneront 2 sols chacun au vigneron du seigneur.
Ils seront aussi obligés et tenus de couper et charrier tout le bois nécessaire pour le chauffage du château de Thionville et recevront chaque coupeur de bois une michette de pain avec du potage simple et pareil aux voituriers.
De plus, ils devront chacun à leur tour, toutes les fois qu’il plaira au seigneur de faire les courses, porter les lettres et charges jusqu’à Luxembourg ou à une journée de Thionville pour cela, ils recevront 10 sols.
Les hommes ou femmes, fils ou filles ne peuvent se marier ou prendre domicile hors le lieu de la seigneurie sauf s’ils demandent, achètent et obtiennent lettres de rachat et de liberté. ils ne peuvent alors posséder aucun bien dans la seigneurie car ils sont réputés étrangers et s’ils épousent le sujet d’un autre seigneur comparsonnier ils doivent payer un droit de rachat dit « Tuderlauff », néanmoins, ses biens resteront chargés et obligés à son seigneur.
Ceux qui ont des héritages appelés « Schafftgutt » ne peuvent les vendre ou aliéner, charger ou partager sans le gré de leur seigneur, ils ne peuvent vendre leurs biens et immeubles qu’entre eux, sinon, il leur faut l’autoriation de leur seigneur.
Ils ne peuvent s’offenser l’un l’autre sous peine d’amande arbitraire, ni envoyer en vaine pature leurs bestiaux dans les bois ayant encore des glands, ni dans les prés et héritages d’où les foins et les grains ne soient pas encore enlevés.
Le seigneur a le droit de créer et établir pour son officier dans la seigneurie qui bon lui semble et pour la durée qu’il lui plaît, il reçoit son serment et lui donne pouvoir d’entendre aux premières audiences des particuliers, résoudre leurs difficultés ou les recevoir à la justice ordinaire avant que de procéder par force. Ils doivent envers l’officier le respect et l’honneur avec obéïssance et doivent lui délivrer les deniers, grains et toutes autres espèces en ses mains au château de Thionville lors du terme échu.
Il crée aussi les maires et gens de justice choisis dans ses sujets pour une ou plusieurs années, reçoit leur serment et leur donne pouvoir, autorité et juridiction de connaître et juger de tous les cas jusqu’à l’appel. Et cela, exclusisvement de tous crimes et délits définitivement par arrêt sans ressort ou appel en prenant au préalable avis du conseil de Luxembourg ayant même en mon château de Thionville des prisons fermées pour y détenir et garder les malfaiteurs.
En cas de condamnation à mort ou autres peines importantes, châtiments corporels, la sentence et jugement se rendent au devant du château de Thionville et le seigneur fait entrée et sortie de la ville de Thionville, tambours battants, enseignes déployées, mains armées et mèches allumées. Tous ceux de ses sujets qui sont condamnés, pour assurance et justice, il confisque le corps, les biens et immeubles dont la propriété lui appartient.[1]
Le seigneur est collateur des cures de Basse-Yutz, de Haute-Yutz et Kuntzig alternativement avec les seigneurs associés, une année lui même et l’autre année les co-seigneurs ensemble.
Le droit de passage sur la Moselle devant Thionville appartient pour moitié au seigneur dont il a donné pour plusieurs années le bail à « Jeanne Baur » et « Jaime Hylt » de Basse-Yutz qui paient pour cela 233 florins et 7 sols en deux fois à la Saint-Jean et à la Chandeleur. Les habitants payaient un droit de passage aux passeurs ayant acheté la charge.
Le droit de pêche dans la Moselle qui va au-dessous d’Uckange jusqu’au ruisseau « Kisselbach » appartient pour un quart au seigneur de Créhange, un autre quart aus co-seigneurs et la moitié au Roi. Ce droit est admonié pour plusieurs années à « raner Bern » qui doit au comte de Créhange 73 florins et 1 sol pour une année.
Pour le four, sauf quelques habitants qui ont le droit de cuire chez eux, les autres doivent cuire au four banal. Toutefois, le four d’illange est en ruine et le bois manque, aussi chaque habitant peut cuire chez lui moyennant le paiement de 4 gros chaque année.
Dans les autres seigneuries aussi la plupart des fours sont à cette époque en ruines et pour les habitants, le droit de cuire chez eux, se généralise, moyennant un droit de 2 ou 4 gros monnaie de Metz.[2]
Pour les moulins : A Thionville et sur la Fensch, existent plusieurs moulins qui particularité de Thionville, ne sont pas bannaux, mais dépendent de la ville.[3]
[1] Ce passage montre la mise en scène qui se déroulait devant le château de Thionville afin d’impressionner le peuple, le décourager de commettre des crimes et rehausser le prestige du seigneur. L'expression "Mains armées, mèches allumées" fait référence aux mousquets alors en usage. Au final, je ne crois pas que ce cérémonial se soit produit à Thionville peut-être avant 1630.
[2] Un gros vaut 12 deniers, soit 1 sol. Vers le milieu du 18ème siècle ces droits de four ne seront plus payés ni même réclamés par les seigneurs
[3] Droit donné à la ville en 1462 par le duc de Bourgogne
Pour cette première partie, nous avons vu que les habitants de cette seigneurie de Meilbourg qui regroupe tant de villages, ne sont guère considérés dans leurs droits mais plutôt fortement sollicités pour leurs devoirs envers le seigneur qui pour le coup ressemble bien à l’image que l’on se fait du seigneur tout puissant.
Toutefois, je pense qu’il faut un peu minorer la dureté du document car c’était en quelque sorte une façon de montrer ce que pouvait rapporter la seigneurie et ainsi la valoriser pour la vente qui allait suivre quelques mois plus tard.
A Thionville, il existe aujourd’hui dans la cour du château face à la mairie, un bâtiment annexe, qu’on appelle « L’hôtel de Créhange-Pittange »
Ce bâtiment n’est pas inscrit aux monuments historiques
Son architecture est du 18ème siècle, l’histoire connue à ce jour, nous dit qu’il aurait été construit sur les fondations d’un bâtiment plus ancien qui aurait put être alors le château Créhange dont il est question dans notre document. Cet hôtel de Créhange-Pittange a subi de nombreuses modifications. En 1950, il abritait les bureaux des cadres des laminoirs à froid de Thionville puis en 1979, il devient un bâtiment annexe de la mairie toute proche.
Ce bâtiment ne semble pas être le château du comte de Créhange dont il est question dans le document de 1630, peut-être est-il construit sur les fondations de ce château mais rien ne le prouve. D’ailleurs, ce bâtiment dit « Hôtel de Créhange-Pittange » a lui-même passablement changé.
Les bâtiments d’origine très ancienne qui constituent cette cour du château ont connu des vicissitudes multiples au cours des siècles et leur histoire n’est pas des plus aisée à reconstituer.
En 1630, le château du comte de Créhange dont il est question dans le document ci-dessus est neuf ou récent. Il comporte des granges et écuries et au moins deux tours existent à proximité. A l’emplacement de la mairie, le couvent n’existe pas encore, mais plusieurs autres maisons existent appartenant à des familles nobles, seules à l’époque, à pouvoir construire et habiter dans cette cour dite du château.
Mes recherches en cours sur l’histoire du couvent des clarisses me permettront, dans mon ouvrage à venir, de faire un point plus précis sur ces bâtiments.
Sources :
Les seigneurs de Meilbourg par A. Plassiart – 1950 – Metz
Second compte de la seigneurie de Mirabelle ADM – J1265