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Publié le par Michel Persin

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1706 - Les "Insoumis" de Manom et leur seigneur François Brice Gomé de La Grange

Publié le par Persin Michel

 

Pourquoi connaître l'histoire ?

 

Pour éviter de se raconter des histoires 

 

et s'épargner parfois, bien des histoires.

 

 

Ceci étant dit, passons à notre histoire du mois qui va nous montrer qu'en 1706 quelques fortes têtes insoumises de nos villages n'hésitaient pas à mettre en échec  temporaire  les petits seigneurs locaux.[1]

L’affaire se passe à Manom, elle met en scène le seigneur de Lagrange et plusieurs laboureurs et manouvriers du village .

A tout seigneur tout honneur, commençons par ledit seigneur, en l’occurrence, François Brice Gomé de la Grange.

 

[1]Locaux, façon de parler, car bien souvent ils étaient étrangers à la région, certains n’y vivaient même pas.

 

La famille descendait de la famille d’Hugues des Hazards, évêque de Toul de 1506 à 1517, mais ne repris pas le nom et ne l’associa jamais à son propre nom de Gomé.

La famille descendait de la famille d’Hugues des Hazards, évêque de Toul de 1506 à 1517, mais ne repris pas le nom et ne l’associa jamais à son propre nom de Gomé.

Je ne vais pas refaire ici l’histoire de la seigneurie de La Grange, d’autres l’on fort bien faite [1], mais juste rappeler quelques points : 

 

Cette seigneurie appartenait à Christophe Albert comte d’Argenteau, elle passa par héritage à Claude Florimond comte de Mercy. Celui-ci la vendit en 1701, à François Brice Gomé qui à cette occasion rajouta « La Grange » à son nom.[2]

 

François Brice Gomé de La Grange était receveur des finances du roi à Toul, secrétaire en la chancellerie du parlement de Metz où il avait commencé sa carrière en tant qu’avocat en 1674. C’est cette charge de secrétaire à la chancellerie qui lui amena l’anoblissement. Il acheta de nombreuses charges et offices dans la région messine et dans le Toulois, c’était un financier avisé.

 

Marié à Françoise Ory [3], il rendit foi et hommage au roi pour la seigneurie de La Grange, le 10 mars 1706, et mourut subitement à La Grange le 17 mai 1725. Il fut inhumé dans l’entrée de l’église de Manom où le rejoignit son épouse en 1742 et plus tard, en 1784, un autre seigneur de La Grange, René François de Foucquet.

 

Ce François Brice Gomé de La Grange a eu trois filles, Marie Anne, Marie et Marie Françoise et deux garçons :

 

Jean François (le cadet) écuyer habitera en 1744 à Longuyon.

Christophe Gomé de La Grange [4](l'aîné) est né à Toul le 19 janvier 1691.

Il deviendra avocat au parlement de Paris puis en 1721, conseiller au parlement de Metz. Bien entendu, il hérita de son père la seigneurie de La Grange et fut à l’initiative de la création de la faïencerie de La Grange. 

 

Certains auteurs lui imputent la construction du nouveau château, d’autres pensent qu’il faille plutôt imputer cette nouvelle construction à son père François Brice Gomé vers 1714 car l’acte d’achat de la seigneurie en 1701 préciserait que le château était en ruine et inhabité.

 

Toutefois un élément est à prendre en compte dans ce dilemme, c’est un bail judiciaire passé le 4 août 1698, soit trois années avant la vente de la seigneurie, entre le seigneur Claude Florimond comte de Mercy, héritier du comte d’Argenteau et les créanciers de la seigneurie de La Grange afin d’assurer le paiement desdits créanciers.

 

Ce bail de deux années comprenait l’ensemble de la seigneurie à l’exception de la cense de Thionville, d’Elange déjà affermées, des prés engagés au sieur de La Roche, des biens de Florange, de Cattenom, des dîmes d’Hussange et des blés, grains, fruits, raisins, houblons déjà dues pour l'année 1698. En contrepartie la Dame veuve du comte d’Argenteau garderait son appartement dans le château consistant en une chambre dite le poil et la chapelle avec tout ce qui est au-dessus jusqu’au toit. De plus, elle aurait les écuries pour deux chevaux et deux vaches avec la liberté de les faire pâturer.

 

Il semble bien qu'en 1698, le château ne soit pas tout à fait ruiné,
ni tout à fait inhabité !

 

Ce bail judiciaire est aussi important pour la suite de notre histoire, comme nous le verrons plus avant.

 

Une fois propriétaire d’une partie de la seigneurie, François Brice Gomé de La Grange voulu la faire fructifier et en retirer les bénéfices attendus comme stipulé dans un record de justice en date du 10 avril 1573 qui fixait les devoirs des habitants avec en regard les rétributions ordinaires affectées à ces droits.[5]

 

La seigneurie de La Grange comportait une grande partie des terres du village de Manom ainsi que des terres à  Garche.

 

Les devoirs des habitants de Manom mais aussi de Garche consistaient en divers cens et taxes mais aussi en corvées qu’énumérait le record de justice de 1573, les voici :

 

Chaque laboureur avec sa charrue se devait de travailler :

 

2 jours aux marsages.(Au printemps, appelé aussi tramois))

2 jours aux semarts. (Semailles)

2 jours à verser et remuer les terres. (Labourage)

2 jours à les semer.

Une demie journée à voiturer hors la prairie de la maladrerie (Malgrange) et celle de  « Rheinwisse » tous les foins. 

2 chars de blé à la moisson. 

1 char de bois à Noël. 

1 char de fagots au mois de mai. 

1 jour à bécher et à labourer les vignes et pendant les vendanges, de cueillir le raisin et porter la hotte.

Désigner 3 ou 4 personnes à la fenaison pour charger le foin, l’amonceler et à la fourche, le charger.

 

Mais voilà, notre seigneur de La Grange allait tomber sur quelques fortes têtes insoumises de Manom [6]qui de plus obtinrent un soutien, de la communauté du village dans son ensemble.

 

Ces « fortes têtes insoumises » acceptaient difficilement, voir pas du tout, ce nouveau seigneur inconnu et comme ce fut assez souvent le cas, profitèrent du changement de seigneur pour essayer de remettre en cause leurs contributions à son train de vie, aussi ils refusèrent purement et simplement d’exécuter les corvées dans leurs ensemble, soutenus à priori par le village.

 

"...habitants et communauté prenant fait et cause de ceux des

particuliers qui la composent..."


[1]Histoire des seigneurs et de la seigneurie de La Grange par Charles KOHN aux Archives municipales.

[2]A Thionville, une autre famille avait rajouté à leur nom la terminaison « La Grange », ce sont les Georges qui furent seigneurs en partie de Meilbourg, en relation avec l’achat des îles de la Grange sur la Moselle.

[3]Aussi orthographié ORRY ou OLRY

[4]Seigneur de La Grange après son père, il vécut peu de temps à La Grange, en 1744, il vivait à Paris où il est décédé au début de 1757. C’est son épouse qui gérait le domaine de La Grange. Vivant largement au-dessus de ses moyens, il fut obligé de vendre entre 1751 et 1753, la seigneurie avec la faïencerie et la tuilerie plus ses charges de conseiller et d’avocat. C’est comme cela que la seigneurie et son château furent rachetés en décembre 1752 par René François comte de Foucquet, maréchal des camps et armées du Roi, cousin du maréchal de Belle-Isle

[5]Comme vu dans les articles précédents, fort peu de droits, beaucoup de devoirs !

[6]Les choses se passèrent de la même façon à Garche

Qui étaient-ils ?

 

C’était en fait les laboureurs du village, c’est à dire les moins pauvres des pauvres habitants, soit ceux qui avaient un tant soit peu la possibilité d’agir en montrant leur mécontentement.

 

C’était il y a maintenant 311 années !

 

Comme disait Coluche, j’ai les noms et les adresses.

Moi, je n’ai pas les adresses, mais j'ai les noms que voici : 

 

Les laboureurs :

 

Nicolas Léonard

Etienne Léonard

Dimanche Léonard

Jean Bouster

Valentin Vir

François Bronquar

François Charon

Jean Charon

Michel Lejeune

Frédérique Lint

Sébastien Serf

 

Les manouvriers qui devaient aider à la fenaison :

 

François Faussel

Jacques Clément

Jean Nicolas

Nicolas Hillard

 

Cela représentait pour les laboureurs de Manom un peu plus de trois mois de travail à une période où eux-mêmes étaient en pleine saison des travaux champêtres.

 

Devant le refus catégorique des laboureurs, des manouvriers, soutenus par le village, le seigneur François Brice Gomé de La Grange porta l’affaire devant la justice du parlement de Metz le 29 juin 1706 avec comme exigence de les voir condamnés à faire les corvées qu’ils avaient toujours faites, depuis le record de justice de 1573, cela avec dommages et intérêts et en cas de refus de faire exécuter les corvées par des tiers aux frais de la communauté.

 

Les laboureurs et la communauté villageoise firent valoir que le dénombrement du record de justice de 1573 n’était plus valable et qu’il fallait sans doute le revoir.

 

Un autre élément est à prendre en compte dans ce refus même s’il n’est pas mentionné. Pour cela, il nous faut revenir au bail judiciaire de 1698.

Effectivement, ce bail a été passé moyennant un canon de 1800 livres pour la première année et de 2000 livres pour la seconde année, ce qui nous donne une fin de bail en 1700/1701 avec comme conditions d’entretenir les bâtiments, les dépendances et les terres afin de les rendre en bon état à la fin du bail.

 

Enfin le bail est passé aux personnes suivantes : 

 

Michel Laniau, maire de Manom.

Nicolas Léonard

Dimanche Léonard

Pierre François Nicolas

 

Nous retrouvons là une partie des laboureurs qui refusèrent les corvées et cerise sur « gâteau » le canon du bail était à payer entre les mains du commissaire de la cour du parlement de Metz où officiait en financier avisé François Brice Gomé qui dès la fin du bail et le paiement des créanciers réalisé par les canons du bail judiciaire, se porta acquéreur de la seigneurie de La Grange.

 

Mettons-nous quelques instants à la place de ces laboureurs Manommois qui pendant deux années ont exploité les terres de la seigneurie, profité du bois mort et de la vaine pâture, ont sans doute fait quelques travaux aux bâtiments et pris « soin » de la vieille douairière d’Argenteau et qui se voient au terme du bail dont leur travail a payé les créanciers de la seigneurie, obligés d’aller travailler gratuitement pendant trois mois pour un seigneur Toulois inconnu ayant su profiter de l’opportunité de sa charge à la chancellerie du parlement.

 

Malgré tout, le 27 novembre 1706, le parlement rendit l’arrêt suivant :

 

« Au vu des requêtes, je conclus pour le roi que les habitants ou communauté de Manom soit déboutés et en conséquence je les condamne à faire les corvées ordinaires et accoutumées conformément au record de justice du 10 avril 1573 à charge toutefois de recevoir les rétributions ordinaires [1]et pour le refus qu’ils ont fait cette année je les condamne aux dommages et intérêts »

 

Il est donc probable que les laboureurs s’exécutèrent pour les années suivantes. Le village voisin de Garche fit le même genre de refus au nouveau seigneur de La Grange. 

 

Il était assez courant à cette époque que les habitants contestent les corvées qui leur étaient imposées et cela souvent quand un nouveau seigneur étranger à la région prenait en charge leur communauté. L’esprit de clan jouait fortement, les seigneurs issus de familles installées là depuis longtemps n’avaient souvent pas les mêmes difficultés.

 

Toutefois, depuis longtemps les corvées étaient considérées comme « odieuses » car pour les paysans cela voulait dire qu’ils travaillaient quand le seigneur ne faisait rien, lui apportant aisances et richesses. En champagne, certains seigneurs étaient appelés « Genstuehommes ou genspillehommes » et cette grogne avait fini par remonter aux états généraux d’Orléans (1560/61) et de Blois (1576 et1588) où furent prises quelques ordonnances pour remédier aux abus les plus importants.

 

Au 16ème  siècle on fixa à 12 jours maximum les corvées pour une année puis lors des corvées royales on les limita à 5 jours par an.

Sous Louis XIV, on prit de plus en plus en compte le poids des corvées seigneuriales et les paysans disaient souvent « Si le roi savait ! ». 

Mais le roi savait et si l’on baissa un peu la pression sur les corvées seigneuriales, on l’augmenta sur les corvées royales destinées à entretenir les routes, ponts et chemins. 

 

Toutefois, les paysans se sentant un peu plus écoutés commencèrent à se montrer plus vindicatifs envers leur seigneur, certains ou certaines communautés entreprirent de leur faire des procès qui furent en général perdus en vertu d’un vieil adage :

 

« Oignés vilain, il vous point – Poignés vilain, il vous oint »

(Tiré de Gargantua 1546 - On peut traduire par « caressez un mauvais homme,

il vous fera du mal, faites-lui du mal, il vous caressera »

 

 


[1]En se référant à mes articles précédents sur la seigneurie de Meilbourg les rétributions ordinaires consistaient en miches de pain ou soupe avec ou sans lard, car il y avait obligation de nourrir les corvéables.

De moins en moins respectés, ayant de plus en plus de difficultés à percevoir les apports que devait générer leur seigneurie, les seigneurs importants déléguèrent la gestion de celles-ci à leurs officiers ou syndics, les petits seigneurs campagnards vendirent leur seigneurie et cherchèrent "honneur et respect" aux armées dont souvent leur famille était accoutumée ou dans des offices plus lucratifs. 

 

Ces petites seigneuries furent achetées par des anoblis récents, des bourgeois enrichis, marchands et même riches fermiers qui n’eurent plus alors aucune autorité sur les laboureurs aisés qui commencèrent à envisager eux-mêmes l’achat d’un office ou même d’une seigneurie, car à la veille de la révolution, si les charges et redevances existaient encore, les contreparties que devaient rendre les seigneurs n’existaient plus.

 

L’état centralisateur avait capté le pouvoir jadis aux mains des seigneurs. Ainsi en 1787, on incita ceux-ci à participer davantage à la gestion des communes, on leur donna souvent la présidence des assemblées tout en limitant leurs droits. Ils n’étaient plus les maîtres car le bailliage, l’intendant et le parlement local instruisaient, jugeaient, décidaient.

 

Beaucoup de seigneurs locaux firent carrière aux armées, certains rejoignirent les municipalités ou même l’industrie comme Christophe Gomé de La Grange avec sa faïencerie et sa tuilerie. Mais voilà pour tenir le rang, entretenir un château et du personnel, avec des revenus plus aléatoires, la reconversion était la seule planche de salut, ceux qui ne purent ou ne voulurent la mener perdirent tout, leurs charges et offices, leur château et leurs terres. Ils furent nombreux ainsi à Thionville et dans la région, car les douces habitudes sont bien difficiles à abandonner.

 

 

Sources :
Le village sous l’ancien régime par Albert Babeau – 1878
ADM 3e7605 – 3e7527 – 3e7586 - B2364-28

Parce que l'histoire n'est pas toute la culture

 

MANIFESTATIONS A VENIR

 

 

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