2015 - Culture - Patrimoine et Malgré-nous
En 2011, j’ai édité deux livrets :
1 - « Croix votives et bildstocks » avec en complément dans le même livret, « La maison des vignes » et « la maison blanche » à Veymerange.
2 – « Soldats et monuments 1914-1918 1939-1945 »
Ces deux livrets avaient chacun moins d’une centaine de page. Au fil de mes recherches sur l’histoire de ces « villages d’en bas » que sont Terville, Veymerange, Elange, Volkrange, Metzange et Beuvange-sous-Saint-Michel et dont certains sont devenus depuis 1967/1968 des quartiers de Thionville, de nouvelles informations, de nouvelles photos ont été retrouvées, tant sur les croix que sur les monuments aux morts et soldats.
A la demande de certains de mes lecteurs, J’ai donc fait une mise à jour de ces livrets et je les ai rassemblés en un seul ouvrage de 150 pages, tout en couleur. Il est actuellement en cours de rédaction et de mise à jour et devrait paraître courant octobre 2015.
Je voudrais profiter de cette annonce pour faire ici le point sur quelques questions et remarques qui me sont remontées de mes lecteurs.
Pourquoi ce blog ?
J’ai fait une page sur le sujet parue le 16 août 2013 à voir en cliquant sur le lien ci-dessous
http://www.histoiredethionville.com/précisions-sur-le-blog
Concernant l’histoire générale de la ville de Thionville, je voudrais vous conseiller les pages d’histoire qui figurent sur le site web de la mairie. http://www.thionville.fr/
Mon blog ne fait qu’apporter des précisons, des rectifications, des commentaires, des documents inédits, en quelque sorte une histoire des sans grade, des inconnus, des simples quidams qui ont fait l’histoire de la ville et des villages alentours mais qui n’ont pas laissé dans l’histoire de la région, d’autres traces que celles qui figurent dans les actes notariés, de la prévôté, du bailliage, de l’état civil, des annales, de la presse ou leur nom et celui de leur parenté, gravés sur un monument funéraire au cimetière.
Ce sont ces gens là qui ont subi, souvent,
qui ont fait, quelques fois,
mais qui toujours ont participé, à l’histoire nationale et internationale de notre pays.
C’est à travers leur vie de tous les jours, leurs liens familiaux et amicaux ou professionnels que l’on peut appréhender ces époques historiques.
Tous ces actes de la vie de tous les jours avec leur lot de joies, de peines, leur coup du sort peuvent avec le temps, nous sembler vains et anodins, tous ces actes c’est juste ce qui émerge encore de leur vie, quand les années et l’oubli sont passés.
Et parfois, on peut relativiser, voire corriger l’histoire trop générale que l’on a appris en partie de nos historien du 19ème siècle.
Dans un prochain article, je donnerai quelques exemples frappants de ce décalage entre l'histoire officielle et la petite histoire, car il est certain que la généralisation est fille de la synthèse et souvent mauvaise fille !
C’est quoi la Culture ?
Je ne vais pas ici commencer un débat mais simplement redonner une définition :
« La culture est un ensemble organisé de comportements appris et de résultats de comportements, dont les éléments composants sont partagés et transmis par les membres d'une société particulière. »
La culture est essentiellement affaire de tradition.
Au moins la définition est claire, notre culture est assez facile à identifier, les autres cultures aussi. Bien entendu « les cultures » peuvent se côtoyer, se superposer ou s’interpénétrer et créer ainsi à plus ou moins long terme une autre « culture ». Mais souvent ce n’est pas simple et les soubresauts sont monnaies courantes.
C’est quoi le patrimoine ?
Pour faire simple, le patrimoine c’est ce qu’on hérite de nos pères.
« Père » devant être entendu ici, comme une notion très large, car ce que j’hérite de ma mère, de ma tante ou du cousin germain de mon voisin devient aussi mon patrimoine !
Ce patrimoine peut être un somme d’argent, de l’immobilier, des terrains, des aptitudes physiques ou morales, une éthique, une éducation, des préjugés, une histoire, une langue, une écriture, bref, c’est une enveloppe qui peut contenir beaucoup de choses.
Cette enveloppe contient de facto « la culture » et cette culture que j’hérite, viens de nos pères au sens large.
Tout cela pour en venir au fait que la culture est dans mon patrimoine. Que la grande et petite histoire régionale sont mon patrimoine et ma culture.
Bien entendu, on peut aussi « adopter » une autre culture par intérêts intellectuel ou affectif, mais il est difficile d’oublier sa propre culture, on devint donc de fait multiculturel.
On peut alors transmettre plusieurs cultures dans son patrimoine.
Voilà quelques notions simples qu’il est utile de relire pour bien comprendre l’histoire si spécifique de notre région ou des alternances de nationalités, parfois longues et difficiles ont « bousculé » [1] parfois profondément la vie des gens.
[1] « Bousculer est un bien faible mot, quand dans une famille, 2 ou 3 fils tombent en Russie en 1917 à 20 ans.
Les 2 livrets évoqués en début d’article traitent, pour le premier, des croix votives, bildstocks et croix des chemins, petits monuments populaires dont l’histoire fait partie intégrante de notre culture et de notre patrimoine commun. Le second, nous retrace l’histoire des monuments aux morts et des soldats de nos villages qui sont tombés lors des deux guerres mondiales, là aussi nous sommes au cœur du sujet, culture et patrimoine.
Ces soldats, ces jeunes hommes dont les noms figurent sur nos monuments aux morts, ont combattu presque exclusivement dans les armées allemandes et pour la plupart sont morts sur le front Est, en Pologne, en Russie, dans les Balkans.
Pour avoir échangé avec plusieurs personnes sur ce sujet malheureusement encore sensible des malgré-nous et avoir essuyé quelques remarques abruptes, genre « Yakafoquon ». Ces personnes prennent l’exemple rare de quelques soldats de nos villages tués dans l’armée française et vous assènent :
« Ils n’avaient qu’à pas y aller » ou « Ils n’avaient qu’à se sauver, déserter »
Concernant la dernière guerre, je voudrais juste rappeler quelques vérités premières :
Les quelques exemples de soldats de nos villages morts dans l’armée française sont pour la plupart des jeunes gens incorporés dans l’armée française juste avant la déclaration de guerre et qui se sont retrouvés avec peu de chance de survivre face à une armée allemande mécanisée et moderne.
Quelques uns, incorporés dans l’armée d’Afrique ont effectivement prit part au débarquement en Provence et à la libération de la France.
Enfin, ceux qui ont survécu à la débâcle de 1940, démobilisés, ont regagné leur foyer en Moselle, en Alsace avec l’autorisation et la bénédiction des autorités françaises et au mépris de toutes les conventions internationales, se sont retrouvés incorporés de force dans l’armée allemande et envoyés sur le front Est où ils sont morts par milliers.
« Ne pas y aller »
Certains, se sont cachés pendant toute la durée de la guerre et furent recherchés par les autorités allemandes. Les parents mentaient, disant ne pas savoir où étaient leurs fils, au risque qu’ils soient découverts ou dénoncés.
Beaucoup, ont fuit, surtout des alsaciens proches de la frontière Suisse, mais dès 1943, les familles des fuyards, furent déplacées en Allemagne du Nord, déportées dans des camps de sinistres mémoires, ou fusillées.
Il faut aussi prendre en compte l’organisation et les méthodes de l’administration allemande qui ne laissaient que peu de place à l’approximation et à l’oubli. Ceux, qui comme moi, fréquentent les archives, connaissent la précision et la qualité des renseignements qu’on trouve dans les fiches, les comptes rendus, les recoupements de cette administration.
« Déserter »
Là aussi, beaucoup l’on fait. Mais la plupart des incorporés de force, étaient envoyés sur le front russe et quand ils se rendaient aux troupes russes, ils étaient fusillés sur le champ n’arrivant pas à expliquer leur situation.
Les plus chanceux, prisonniers, furent mis dans des camps comme « Tambow » (voir le site : www.nithart.com/incorpor.htm) où ils sont morts de faim et de travail forcé. De plus, les russes ne les ont libérés qu’avec réticence souvent plusieurs années après la fin de la guerre.
La France, alors largement communiste, avait peur de l’image négative que pouvait engendrer le récit de ces soldats sur une idéologie, que le 13 février 1979, Georges Marchais (PC), jugeait encore « globalement positive »
Enfin, ils sont rentrés, parfois encadrés par la police ou l’armée, avec le bien triste rôle, de perdant, de traître, dans une France qui avait largement collaboré et n'avait dû son salut qu’à la détermination et la puissance industrielle des anglo-saxons et à quelques français résistants, maquisards et soldats partis rejoindre Londres.
Les quelques uns qui se permettent de porter des jugements à l’emporte pièce, devraient juste se demander ce qu’ils auraient fait dans la même situation...
Il n’est pas du tout certain qu’il n’y soit pas aller ou qu’ils aient déserté.
1970, un malgré-nous m’a raconté ce qui suit :
En 1943, il avait 20 ans, travaillait à l’usine De Wendel à Hayange, habitait à Florange.
Un jour qu’il rentrait à pied de son travail, un camion de l’armée allemande s’était arrêté à coté de lui, et on l’avait « invité » à monter.
Là, on lui a signalé qu’il n’avait pas répondu à la convocation lui enjoignant de se présenter à la caserne. Lui et sa famille ne parlaient pas allemand et peu le « platt ».
Il fut incorporé de suite et envoyé en Allemagne pour une rapide formation militaire puis dirigé sur le front Est avec un bataillon où il était le seul Mosellan, avec aussi quelques alsaciens. Il faisait froid, ils marchaient pendant des heures, harcelés par les troupes Russes et puis une nuit, ils se battirent à coups de grenades, de trous d’hommes à trous d’homme. Au matin, la moitié de sa section était hors de combat. Alors, désespéré, il a décidé de se tirer une balle dans la main, après avoir mis une tranche de pain entre sa main et son gant pour éviter une brûlure autour de la blessure, synonyme de blessure volontaire donc de condamnation à mort.
Il passa en conseil de guerre, au bénéfice du doute, il fut rapatrié en Allemagne où on le soigna.
Mais voilà, bientôt les américains débarquèrent en Normandie et il fut envoyé sur ce nouveau front. En rejoignant à pieds, le régiment où il avait été affecté, il entendit le vol chuintant d’un obus et se réveilla quelques jours après dans un hôpital de campagne américain avec la jambe droite coupée sous le genou.
La guerre prit fin, il rentra dans sa famille à Florange, la main gauche estropiée, la jambe droite coupée sous le genou, il avait 22 ans et il était vivant, n'avait pas revu sa famille depuis ce fameux jour de 1943, où un camion s'était arrêté sur le chemin de son usine à sa maison.
Plus tard, il fut appareillé, trouva un emploi adapté à ses handicaps et fonda une famille.
Je l’ai connu fataliste et sans haine, juste amer d’entendre trop souvent
parler les « Yakafoquon»
Sur les malgré-nous, internet donne accès à de nombreux sites comme:
Voilà juste une petite mise au point sur ce sujet encore sensible dans les familles et trop méconnu du grand public.
Le prochain article évoquera une famille de Volkrange au destin assez surprenant.