Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

thionville 18eme

17 Février 1751 - Mémoire sur la fortification de Thionville

Publié le par Persin Michel

Nous allons voir de façon plus précise, le mémoire rédigé par un ingénieur militaire en 1751, concernant les fortifications de Thionville sur la rive droite de la Moselle. J’avais commencé à vous présenter le préambule de ce rapport le 17décembre 2018, pour mémoire ci-dessous :

 

Préambule d’un rapport rédigé par l ‘ingénieur Lachèse [1]sur la fortification de la ville et qui commente ici les raisons de la construction de la couronne sur les hauteurs de Yutz. 

 

« Thionville est située sur la Moselle à 6 lieues [2]de Luxembourg, duché dont elle a fait partie.

A 5 lieues de Metz, dont elle dépend tant pour le commandement que pour la juridiction.

 

Elle n’était autrefois fortifiée que fort simplement, mais depuis l’année 1727, le roi a augmenté ses fortifications dans presque tout son circuit au point que si le côté de la Moselle répondait en force aux autres côtés de la place, elle pourrait être regardée comme une des plus forte du royaume. Cette partie de la Moselle a toujours été regardée comme défectueuse. Les eaux de la rivière devenaient extrêmement basses dans les arrières saisons et jusqu’au point de ne conserver que 3 pieds [3]d’eau dans son plus profond, elle devenait guéable dans presque tout son cours.

 

Le pont qui traverse la rivière n’était couvert que d’un petit ouvrage à corne de peu de résistance, ce qui a déterminé à l’agrandir et à en former une double couronne qui couvre tout le côté de la rivière. Cet ouvrage quelque beau qu’il soit, pêche par un point essentiel ; il a trop peu de capacité pour une bonne défense et ne procure aucun emplacement à Thionville qui en a très besoin et a été construit si bas que les eaux de la Moselle, lorsqu’elles débordent en interdisent l’entrée en passant au-dessus de la partie des parapets du chemin couvert qu’elles détruisent et emportent dans le fossé.

 

A ces défauts, se joint celui d’être soumise à la hauteur d’Yutz où dès le premier travail on pourrait établir des batteries qui en très peu de temps en aurait anéantie toutes les défenses et donne le moyen de s’en rendre maître aisément. Cela fait juger que le côté n’était pas en équilibre avec les autres parties de la fortification de Thionville et que ce serait toujours le chemin qu’un ennemi habile prendrait pour se rendre maître de cette place et a fait former le dessein d’y travailler pour parvenir à la mettre dans cet équilibre de force.

 

On n’a rien trouvé de mieux que l’établissement d’un ouvrage dont le bastion du centre pris de la supériorité sur toute les hauteurs de Yutz et l’auteur de cette prétendue couronne d’Yutz n‘a donné ce projet dans le dessin de ne pas voir l’objet de cette dépense aussi considérable qu’elle est réellement, espérant que le temps lui fournirait le moyen d’exécuter le projet de la jonction à la double couronne de la Moselle après que les deux fronts de la hauteur seraient exécutés. Il est trop habile pour avoir jamais pensé que les deux fronts puissent tenir lieu du nécessaire en cette partie et ne l’a point caché.

 

[1]Voir la biographie résumée en fin d’article. Il signe LaChaise

[2]Une lieue terrestre représente environ 4,44 km

[3]1 pied = 0,326 m

C’est sur ce principe qu’on a donné le nouveau projet et on ne peut disconvenir que la couronne seule serait un mauvais ouvrage de peu de défense dont la communication serait difficile et qui serait vue dans toute son intérieur par l’ouverture de sa gorge, et donnerait à l’ennemi un emplacement plus commode que la nature ne lui donnait ci-devant pour établir les batteries nécessaires pour la ruine entière de cette double couronne.

 

 

La Moselle, les inondations et le futur canal :

 

« Voici les raisons qui occasionnent les inondations et celles de faire un canal de 25 toises de largeur [1]pour éviter les plus fréquentes inondations et empêcher les eaux de monter au point où elles ont été le 21 août 1740.

 

A Thionville, la rivière Moselle coule dans un bassin (lit) de 70 à 80 toises [2]de largeur dont les bords sont élevés au-dessus des eaux ordinaires de 7 à 9 pieds [3]et les plus hautes eaux de 9 à 12 pieds [4]. Cette rivière est extrêmement inconstante dans ses variations, souvent elle sort de son lit ordinaire en 2 ou 3 jours et s’élève à 10 ou 11 pieds, quelquefois jusqu’à 12 ou 13 pieds et parfois plus encore car sa plus grande crue à été de 14 pieds [5]ce qui a été regardé comme un évènement extraordinaire car il n’y a aucune mémoire dans le pays qui se souvienne de l’avoir vue si haute.

 

Au-dessous de Thionville, la rivière est trop resserrée lors des crues et quand elle passe entre les fortifications de la place et le revêtement de la double couronne, les eaux sont forcées de monter jusqu’à ce qu’elles puissent s’écouler par la campagne et la prairie sous les glacis de la double couronne.

 


[1]Soit environ 50 mètres

[2]De 140 à 160 mètres

[3]Entre 2,30 m et 2,9 m

[4]Entre 2,9 m et 3,9 m

[5]Soit 4,56 m


Là, elles rencontrent la chaussée de Saarlouis qui est entre la double couronne et la couronne de Yutz, cette chaussée la retient comme une digue et ne leur donne d’écoulement que par les 7 petites arches des deux ponts, trop étroites pour permettre un bon écoulement des eaux. Donc pour s’écouler, les eaux doivent atteindre la hauteur des deux ponts et passer au-dessus [1]. Pour y parvenir, il faut que toute la campagne soit inondée, les chaussées interdites, ce qui cause au pays un tort considérable.

 

Pour éviter cela, il faudrait ajouter à la rivière un nouveau cours comme un canal capable d’écouler les eaux sans trop les diminuer quand elles sont basses et cela pourrait se faire par un canal de 25 toises de largeur allant de la basse à la haute Moselle.

 

Les avantages de ce canal seraient :

 

  • Eviter les grandes inondations pour le pays autour de la ville.

  • Assurer une communication plus constante sur les chaussées.

  • Eviter de relever les portes et ponts de la ville qui ne seront plus noyés pas même celle de la double couronne exceptée celle de sa demi-lune qu’il faudra relever.

  • Eviter pour toujours le danger ou a été le grand pont de la Moselle d’être emporté.

  • De donner un bon retranchement dans les nouveaux ouvrages.

 


[1]Un des ponts de la chaussée de Saarlouis a été emporté le 18 décembre 1740, l’eau montait alors d’un pied par jour

Les grains, la farine et les denrées : 

 

 

Il y a une nécessité de construire à Thionville des caves et des magasins où l’on pourra disposer en sureté les approvisionnements de bouche nécessaires à la subsistance de la garnison pendant la durée d’un siège.

 

Ce projet qui est agréé et que l’on exécute, rendra un siège extrêmement difficile pour l’ennemi et sera d’une longue durée en le soutenant avec 7000 hommes de garnison y compris toutes les espèces de gens de guerre nécessaires à une bonne défense pendant trois mois.

 

Il faut convenir que la place a été bien négligée de ce côté et qu’il n’y a aucune cave à l’épreuve de la bombe dans toute la ville, lesquelles simples caves s’emplissent entièrement d’eau lors des crues de la Moselle et ne peuvent donc recevoir les boissons et chairs salées.

 

Il n’y a pas un seul magasin capable de recevoir des grains et des farines, sauf le grenier des casernes, mais qui ne peuvent contenir que quelques avoines et les grains et les farines utilisés par jour pour une petite garnison ordinaire de 4 à 5 bataillons au plus et un escadron mais rien de convenable pour les approvisionnements d’un long siège ou d’un blocus accompagné d’un bombardement.

 

Cette place est actuellement si petite et si resserrée qu’une telle conduite de la part de l’assiégeant culbuterait ou incendierait en une journée toutes les habitations et les denrées qui y seraient, soit le sixième du nécessaire et ferait donc rendre la place.

 

Tous les souterrains de la place servent de communication pour accéder aux ouvrages extérieurs, en y marchant un à un et encore en manque-t-il plusieurs auxquels on travaille d’année en année et par conséquent ne sont d’aucun secours à ce jour.[1]

 

Ce que nous avançons dans ce mémoire à été prouvé au commencement de la présente guerre où l’on a eu ordre de jeter quelques provisions dans la place où elles furent dispersées, ça et là, chez des particuliers quoiqu’en petites quantités et il s’en est suivi une conservation impossible par les employés chargés d’y veiller. Il y eut un déchet continuel de la plupart des denrées qu’on ne pouvait plus soigner ni veiller.

 

Que deviendront-elles dans le bombardement ?

 


[1]L’auteur de ce mémoire a fait le relevé des ses souterrains dont une copie existe sans doute aux archives de l’armée (Génie) à Vincennes mais où cependant rien n’est répertorié !

Elles disparaitraient avec les maisons des particuliers dans lesquelles elles auraient été entreposées. Les maisons trop serrées seraient rapidement détruites et incendiées.

 

Si l’on peut remédier à cela, la place deviendra une des plus importantes car le plus grand chemin de l’ennemi peut-être la Moselle bien plus navigable que la Saar, Thionville est donc pour l’ennemi la première porte où il faut frapper avant de remonter plus haut.

 

Afin de répondre aux deux constats précédents concernant :

 

La Moselle, les inondations et le futur canal.

Les grains, la farine et les denrées 

 

Voici le projet de ce qu’il est le plus convenable à faire pour y remédier :

 

Construire deux bâtiments sur l’entrée et la sortie des eaux du canal à travers la nouvelle enceinte de Yutz à Thionville pour recevoir les approvisionnements de bouche nécessairependant un siège de 3 mois ou 6 mois de blocus

Plan de 1746 montrant la coupe d'un des ponts écluses

Plan de 1746 montrant la coupe d'un des ponts écluses

Sur cette carte postale de 1967 on voit  au premier plan l’état du pont amont avant restauration.

Pour plus d’informations et pour les plans d’époque et autres photos vous pouvez
consulter le N°15 des documents thionvillois [1].

 

Le présent article ne présente que le mémoire de l’ingénieur La Chèze

Les bâtiments projetés étaient composés de caves voûtées à l’épreuve des bombes situées au-dessus des piles du pont écluse. 

 

Au-dessus des caves, on trouvait une chaussée pavée centrale permettant le passage au-dessus du canal et de part et d’autre de cette chaussée des greniers servant d’entrepôts. Le bâtiment actuel, rénové de 1991 à 1995, ne comporte d’un seul grenier au-dessus de la chaussée centrale et de l’emplacement des deux greniers d’origine.

Le pont écluse amont d’entrée des eaux restauré et le pont écluse aval de sortie des eaux avec ses caves mais dont les greniers supérieurs ont été détruits.

 

Quelques remarques sur la construction de ces deux bâtiments :

 

(Il y a plusieurs pages de remarques, je n’y ai mis que les plus générales, les autres sont très techniques)

 

Les piles et les arches des passages d’eau seront établies sur un massif ou radier de maçonnerie, fortifié, haut et bas, par des files de pilots et palplanches. Ledit massif établit dans le tuf mêlé de roc car nous avons déjà reconnus le fond dans les autres ouvrages que l’on a construit cette année.

 

Les magasins seront à l’épreuve de la bombe.

 

Il y aura dans un des bâtiments un magasin pour les poutrelles, les denrées de bouche et dans l’autre bâtiment on mettra le grain et la farine.

 

Il n’y aura aucune cheminée dans les bâtiments pour éviter le feu avec des matières inflammables, eau de vie, huile, vinaigre et graisse.

 

Le regroupement des denrées dans ces magasins pourra se faire facilement par la Moselle et le canal, leur garde sera plus aisée.

 

On trouve ensuite quelques éléments sur les quantités de denrées nécessaires pour les sièges ou les blocus, quantités évaluées d’après la table de monsieur de Vauban établie pour une ville comme Thionville à 9 bastions.

 

Infanterie :                   5400 hommes

Cavalerie :                     540 hommes

Autres guerriers          1160 hommes

Total :                        7100 hommes

Vivres nécessaires pour 6 mois de blocus en farines : 

 

Froment :        5280 septiers [1]

Seigle :            2640 septiers

Total :            7920 septiers

 

NB : 

Les habitants inutiles ou sans ressources seront expulsés de la ville en cas de siège ou de blocus. Les autres devront se munir de vivres pour 6 mois car les décomptes ne concernent que les hommes de guerre.

 

Les estimations en froment et en seigle ont été augmentées environ d’un cinquième pour les officiers des troupes, les valets, l’hôpital, les ingénieurs, les charpentiers, les canonniers, les mineurs, les charrons, les armuriers et autres gens utiles.

 

Ce mémoire nous donne aussi la liste des denrées mises en réserve dans les caves et greniers des bâtiments avec leur quantité. Je ne donnerai ici que les types de denrées et n’entrerai pas dans le calcul des quantités nécessaires en fonction des effectifs.

 

Liste des denrées entreposées et consommées de façon journalière par les soldats :

 

-Pois

-Lentilles

-Riz

-Orge mondé [2]

-Orge en grain pour les tisanes et nourrir les volailles

 

Epices :

 

-Poivre

-Cannelle

-Clous de girofle

-Noix de muscade

 

Ails et oignons à raison de deux têtes par jour et par chambre de 6 hommes.

 

Vins alcool et tabac :

 

-1 chopine par jour d’un vin de qualité [3]

-2 petites mesures d’eau de vie par jour et par home.

-Tabac à fumer correspondant à 4 pipes par jour et par homme.

 

Viandes :

 

-Lard salé

-Bœufs et vaches

-Moutons pour les officiers blessés ou malades

-Veaux et volailles pour les hommes malades ou blessés qu’on élèvera chez les particuliers, dans les fossés de la place et dans les cloîtr

 

[1]Un septier est estimé à 235 livres pesant doit faire 158 rations de pain à 2 livres pesant le pain. La livre pesant à cette époque vaut pratiquement 1 kg, au 18èmesiècle elle sera ramenée à pratiquement 500 g

[2]Orge dont on a enlevé l’enveloppe qui entoure le grain et qui n’est pas consommable

[3]La chopine correspond à ½ litre, parfois on utilise ce terme pour désigner une bouteille

Pour les jours maigres qui sont de deux par semaine :

-Fromage
-Morue salée et verte[1]
-Harengs
-Herbes potagères, persil, thym…
Fruits :
-Fruits frais, pommes et poires
-Pruneaux pour les malades
Autres :
-Huile de noix ou de navettes
-Huile d’olive de bonne qualité
-Beurre salé
-Vinaigre
Il faut aussi entreposer des ustensiles de cuisine :
-Pots de terre environ 200
-Barils de distribution environ 1000
-Gamelles de bois environ 4000
-Cruches de terre environ 1000
-Chaudières pour la cuisson environ 8
Cela nous laisse à voir l’alimentation quotidienne des soldats de la garnison. 
S’en suit dans le mémoire, une importante partie purement stratégique qui prévoit de construire dans la vieille ville de Thionville, un magasin assez important pour rapatrier les denrées de ses deux bâtiments dans la ville au cas où une attaque éventuelle obligerait à détruire en partie les bâtiments construits sur le nouveau canal. Il est précisé que les caves pourraient être conservées mais que les greniers au-dessus pourraient être détruits en seulement quelques jours afin de les soustraire aux canons ennemis et dégager ainsi la vue.
Ensuite vient une partie purement militaire qui explique l’importance pour les soldats d’être bien nourris comme le précise monsieur de Vauban dans ses écrits. 
Nous verrons cette partie dans l’article à venir.

 

Timbre émission 19.09.2006
 

[1]Morue verte = morue juste salée - Morue salée = Morue séchée et salée

Voir les commentaires

30/8/1705 Thionville-Volkrange : La fête au village

Publié le par Persin Michel

Huile sur toile de l'école française du 18ème siècle

Huile sur toile de l'école française du 18ème siècle

Dans cet article, je vais vous conter un incident qui s'est produit le dimanche 30 août 1705, lors de la fête du village de Volkrange, mais avant, je voudrais démystifier, une légende qui court encore chez quelques  "historiens" je dirais historiques !

Elle fait partie de ces "âneries" sur le moyen-âge qui ont été tant rabâchées qu'elles sont devenues "vraies" pour nombre de personnes. Elle est comme le fameux droit de cuisage qui n'a jamais existé dans notre pays et cet incident de Volkrange infirme également que les seigneurs de nos villages avaient droit à la première danse lors de la fête des villages. Ce n'est qu'une fausse interprétation de coutumes alors en usage dans nos villages et qui concernaient l'ouverture de la fête, l'ouverture du bal.

Avant de vous relater l'incident, il me faut faire un préalable qui vous verrez explique en partie la tournure des événements arrivés lors de cette fête au village.

Coutume :

La coutume est un « usage juridique oral, consacré par le temps et accepté par la population d'un territoire déterminé ». C’est à dire que c’est la répétition d’une pratique qui établit cette pratique comme étant « l’usage » et cela devint en quelque sorte la loi.

Il existait à Thionville depuis de nombreuses années, des pratiques qui dictaient les règles à appliquer dans un ensemble de domaines et de cas. C’était la « Coutume » de Thionville,  applicable dans toute la prévôté puis ensuite dans tout le bailliage.

En 1643, Thionville la luxembourgeoise, devint française dans les faits et en 1659, elle le devint officiellement par le traité des Pyrénées du 7 novembre article 35 à 41.

S’il modifia profondément la structure de l’administration de la ville et de la région, Louis XIV, ne s’attaqua pas ou peu à la « Coutume » en usage. Ne voulant pas choquer ou perturber trop frontalement les habitants. Il va donc reconduire la « Coutume » en usage depuis 1623, validée par le duc de Luxembourg.

En 1661, il fait publier en langue française le texte suivant :

 Coutumes générales de la ville de Thionville et autres villes et lieux du

Luxembourg Français 

Dans ce texte, à l’article XI du « chapitre ou titre IV »  il est écrit :

En évoquant les seigneurs haut-justiciers :

« Lui confère aussi l’autorité de crier les fêtes paroissiales, permettre les danses et les jeux de ces jours là, sauf s’il existe un usage ou une coutume contraire »

Retenons bien cet article !

NB : Il est courant dans les actes notariés du 18ème siècle de lire la mention « …sera réglé suivant la coutume de Thionville… »

Venons en maintenant à l'incident du 30 août 1705 qui nous est relaté par un rapport du procureur du roi au bailliage de Thionville.

« Reçu par nous gens tenant le bailliage et siège royal de Thionville, la requête présentée par Jean Mathias Bock, procureur du roi en ce siège, et stipulant que le 30 août dernier, jour de la fête ou dédicace de Volkrange, son maire s’étant mis en devoir de publier la fête, ayant en main suivant la coutume, un roseau garni de rubans, les sieurs de Pouilly, père et fils suivis des sieurs Rolly, Fringan et Larminat, se seraient approchés du lieu ordinaire de la danse ou ledit maire ayant remis entre les mains du sergent, le roseau garni de rubans, le sergent aurait proclamé la fête au nom du sieur Jean Mathias Bock, seigneur en partie de Volkrange, sur quoi le sieur de Pouilly (le jeune) aurait crié avec emportement qu’il s’opposait et se serait jeté sur le maire pour lui ôter le roseau et pendant qu’il tirait le maire à lui, il fut suivi tumultueusement des sieurs de Rolly, Larminat et Fringan et autres qui tous se mêlèrent confusément avec le sieur de Pouilly.

Celui ci ayant cassé et brisé le roseau, le maire reprit le roseau cassé sur quoi ledit sieur de Rolly se jeta sur le maire pour lui reprendre et l’a menacé de le maltraiter en cas de refus. Il reprit donc le roseau par la force et le brisa en trois morceaux.  Mais le maire réussit à reprendre les morceaux du roseau des mains du sieur de Rolly, sur quoi le sieur Larminat avec furie se jeta sur le maire pour lui reprendre le roseau cassé et le mit entre les mains du sergent de justice du sieur de Pouilly.

Le sieur de Pouilly fit alors venir des fusiliers et leur aurait ordonné d’empêcher que l’on ne prenne aucune danse… »

Il est précisé sur le document que le procureur du roi sera avertit des faits et que l’avocat du roi réquisitionnera les sieurs de Pouilly, père et fils, le sieur de Rolly et Larminat pour être entendus sur les faits.  Le rapport est daté du 5 septembre 1705.

Pour résumer simplement l’affaire :

Le maire de Jean Mathias Bock, seigneur en partie de Volkrange, a demandé a son sergent de proclamer, avec en main un roseau garni de rubans, ouverte la fête du village et d’autoriser ainsi les danses. Or le sieur de Pouilly, seigneur en partie de Volkrange avec son fils et les sieurs de Rolly, Fringan et Larminat s’opposèrent par la force à cette déclaration en cherchant à prendre le roseau des mains du maire. Ce faisant ils déclenchèrent entre eux une bagarre qui se solda par la destruction du roseau et l’intervention, demandée par le sieur de Pouilly, de soldats afin d’interdire la fête.

 

 L’explication de ce pugilat est fort simple :

Le sieur de Pouilly était seigneur en partie de Volkrange et le sieur Jean Mathias Bock était aussi seigneur en partie de Volkrange. Ils étaient donc co-seigneurs du village mais avec une différence bien réelle :

Le sieur de Pouilly était seigneur haut-justicier du village et le sieur Jean Mathias Bock n’était que seigneur foncier  du village.

Relisons l’article XI de la coutume de Thionville : Il est bien précisé que la proclamation de la fête et des danses est de la responsabilité du seigneur haut-justicier donc du sieur de Pouilly.

Cette bagarre n’est donc qu’une question de préséance et de formalisme, mais on verra par la suite que l’entente entre ces seigneurs n’était guère fameuse depuis déjà fort longtemps.

Ce simple fait divers va toutefois nous donner beaucoup de renseignements sur les protagonistes, sur la fête, sur l’administration du village, sur la justice du bailliage…

Pour l’instant restons sur l’incident.

Afin de bien établir les faits, la justice du bailliage, en la personne de Jean Scharff, conseiller du roi, fit interroger une partie (21)  des hommes présents à la fête. Qui étaient- ils ?

  • Vassor Guillaume, bourgeois de Thionville, âgé de 40 ans.
  • Klein Jean, manœuvre d’Hettange-Grande, âgé de 36 ans.
  • Junger Philippe, laboureur d’Elange, âgé de 63 ans.
  • Chillon Michel, maçon d’Hettange-Grande, âgé de 50 ans.
  • Fischer Nicolas, manœuvre d’Elange, âgé de 29 ans.
  • Roly Jean, jeune garçon de Marspich.
  • Neis Jean, Jeune garçon de Thionville, âgé de 24 ans.
  • Bil Jacques, jeune garçon de Marspich, âgé de 29 ans.
  • Lechamp Nicolas, boulanger de Thionville, âgé de39 ans.
  • Gascher Jean, bourgeois de Thionville , âgé de 30 ans.
  • Gascher Valentin, bourgeois de Thionville, âgé de 55 ans.
  • Limbourg Nicolas, marchand de Thionville, âgé de 33 ans .
  • Cheltier François, laboureur de Marspich, âgé de 23 ans.
  • Stroest Antoine, maçon de Marspich, âgé de 28 ans.
  • Holstaine Adam, laboureur de Beuvange, âgé de 30 ans.
  • Pécheur Christophe, laboureur de Beuvange, âgé de 50 ans.
  • Frolin Nicolas, tisserand de Beuvange, âgé de 33 ans.
  • Adam Jean, laboureur de Metzange, âgé de 26 ans.
  • Schweitzer Rémy, laboureur de Marspich, âgé de 60 ans.
  • Jacob Nicolas, tisserand de Beuvange, âgé de 60 ans.
  • Veinant Jean, laboureur de Beuvange, âgé de 40 ans.

(Toujours la même remarque sur l’orthographe des noms propres à cette époque qui est souvent aléatoire)

On peut remarquer qu’aucun de ces hommes n’est originaire de Volkrange car trop impliqués et inféodés à l’un ou l’autre des seigneurs du village. On retrouve des gens de Beuvange, Metzange, Elange et Marspich, villages voisins de Volkrange mais personne de Veymerange pourtant proche. Figurent aussi des hommes d’Hettange-Grande et quelques bourgeois de Thionville. 

 

Le sieur Holstaine Adam explique qu’en fait il n’était pas présent à la fête et ne sait donc rien sur les évènements.

Le dénommé Stroest Antoine, maçon de Marspich dit ne pas comprendre le français et n’avoir pas compris vraiment ce qui se passait mais il décrit les faits sans en comprendre le sens.

Un autre encore, explique qu’arrivé en retard, il ne vit rien car trop éloigné de la place et à cause de la foule qui était devant lui.

Les dépositions des autres hommes présents à la fête, on peut établir quelques faits intéressants :

En premier lieu, on apprend que la fête était proclamée sur la place non loin du château et que cela se faisait après les vêpres entre 15h et 16h.  On y apprend aussi que pratiquement toute la population de Volkrange, Metzange et Beuvange y participait et qu’on y jouait du violon.

Voilà pour le décor, maintenant sur le fond de l’affaire, on y apprend que tout le monde étant rassemblé sur la place, le sieur de Pouilly arriva du château avec son fils, le sieur de Rolly son beau-frère et les sieurs Fringan et Larminat tous accompagnés de leur famille proche. On y apprend aussi que le sieur Jean Mathias Bock, l’autre seigneur du village n’était pas présent et avait délégué les formalités à son maire et à son sergent.

Un premier accrochage eut lieu dès l’arrivée du seigneur haut-justicier, de Pouilly qui demanda au maire présent des sièges pour lui et sa suite, ce à quoi le maire de Jean Mathias Bock ne répondit pas selon certains ou selon d’autres, il lui dit de s’adresser à son propre maire.

Ensuite les témoignages concordent en ce sens qu’ils décrivent tous le même enchainement des faits :

« Le maire de Jean Mathias Bock donne au sergent le roseau enrubanné et celui-ci crie la fête la déclarant ouverte au nom du seigneur Jean Mathias Bock ce qui déclenche de suite la protestation du seigneur haut-justicier de Pouilly à qui revient cette charge et dans la foulée le déclenchement de la bagarre entre le fils du seigneur de Pouilly et ses invités les sieurs de Rolly, Fringan et Larminat. La bagarre ayant pour objet de récupérer le roseau enrubanné qui dans la coutume était obligatoire pour ouvrir les danses. Le roseau une fois cassé la fête ne pouvait se tenir et le seigneur de Pouilly en fit faire un procès verbal puis il fit venir trois ou quatre soldats armés ou fusiliers pour calmer les gens et interdire les danses sous peine de prison. Chacun se retira donc de la place et la fête fut définitivement gâchée »

Nous verrons dans la suite de cet article que les relations entre les deux seigneurs, haut-justicier et foncier n’étaient pas bonnes et nous verrons que ces personnages étaient tous des notables du bailliage de Thionville donnant ainsi à cette « petite » affaire un retentissement assez important.

Dans le prochain article nous verrons donc qui étaient ces notables, quelles étaient leurs relations et comment se termina l’affaire.

 

À suivre…

Voir les commentaires

<< < 1 2