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1669-1677 - THIONVILLE - Le capitaine Saltzgueber

Publié le par Persin Michel

Gravures de soldats suisses (gardes et infanterie)

Gravures de soldats suisses (gardes et infanterie)

Mais, sans doute devrais-je dire, le capitaine « Saltzgaibre », en tout cas tous les documents le concernant sont signés de sa main avec cette orthographe, alors que dans le corps des actes rédigés par le notaire Helminger, l’orthographe employée est « Saltzgueber ou Saltzgeber ».

Hors du contexte des travaux de fortifications de Thionville, on trouve aussi les orthographes suivantes : Salzgeber, Saltzgaher, Sauzgaibre, Salsgeibre, Sahgeébre.

J’ai déjà évoqué plusieurs fois les difficultés orthographiques des documents du 17ème et 18ème siècle, où les noms n’ont pas une orthographe arrêtée, variant d’un document à un autre ou même au sein d’un même document, avec souvent une signature de la part du sujet encore différente. Dans notre cas, la graphie du nom est encore plus aléatoire car le personnage est étranger, suisse en l’occurrence, et qu’il a lui même francisé l’orthographe de son nom lors de son installation en France, sous Louis XV.

« Saltzgaibre » apparaît ainsi plus français à l’écrit, mais reste phonétiquement assez proche du nom d’origine.

Sa signature en 1669

Sa signature en 1669

Sa signature en 1674

Sa signature en 1674

Rodolphe de Saltzgaibre est capitaine de deux compagnies suisses et major de brigade au service de sa majesté à Thionville. Il fait partie des régiments suisses enrolés au service de la France suivant en cela une tradition remontant au 15ème siècle.

La première alliance entre la France et la Suisse remonte à 1453, les troupes suisses ayant acquis sur les différents champs de bataille, une réputation de gens de guerre solides et durs aux combats

En 1480, Louis XI engage un corps auxilliaire suisse et lui accorde des priligèges.

En 1497, Charles VIII crée la compagnie des cent-suisses de la garde qui sera la première compagnie suisse permanente affectée à la garde du roi.

Puis vint la fameuse année 1515 que chaque écolier a retenue comme la victoire de Marignan, où les cantons suisses furent battus par la France ce qui amena en 1516, la paix perpétuelle conclue à Fribourg, paix perpétuelle qui devindra l’alliance perpétuelle en 1521. C’est dans le cadre de cette alliance que des contrats ou accords militaires appelés des « Capitulations » furent passés entre la France et les cantons suisses. Ces « capitulations » accordaient aux régiments suisses les privilèges suivants :

Commandement suisse et soldats de cette nationalité.

  • Exemption fiscale et franchises sur les marchandises dans les villes d’octroi.
  • Droit d’exercer la religion de leur choix
  • Justice particulière relevant de leurs coutumes
  • Paie régulière

La plupart de ces gens de guerres parlaient allemand ou des patois propres à leur région

Le fait d’être payé de façon régulière amena la fin du mercenariat individuel et la suppression du droit de pillage. On disait alors « Pas d’argent, pas de Suisses »[1]

On créa ensuite des régiments d’infanterie suisse qui furent employés sur de nombreux champs de bataille comme auxilliaire de l’armée française et où ils prouvèrent leur courage et leur détermination. 

Ils ne devaient pas être employés à l’étranger mais la France ne respecta pas toujours les accords passés. Ils firent les guerres d’Espagne et de Flandres.

Ils furent aussi très sollicités pour des travaux d’utilités public comme l’assèchement de marais et la construction de ponts et de fortifications comme à Thionville.

Puis les dérives continuèrent avec leur emploi pour le maintient de l’ordre et les gardes privées.

Effectivement, ces régiments suisses avec leur commandement et leurs coutumes propres ne se sentaient pas impliqués dans les affaires politiques de la France, on ne craignait donc pas leur impliquation ou leur parti pris dans les ffaires intérieures.

Ce n’était pas des mercenaires au sens propre, car ils opéraient dans un cadre strict et connu, soldats d’élites, ils étaient considérés comme des alliés. Ils avaient envers les populations une neutralité plutôt appréciée par le peuple [2] et souvent les villes demandaient à avoir des compagnies suisses en garnison chez elles.

 

[1] Ce ne fut pas toujours le cas ainsi de 1705 à 1710, certains régiments ne furent pas payés et ne subsistèrent que sur les biens personnels de leurs capitaines

[2] Nous excepterons ici les évènements des Tuileries où sur les 950 gardes suisses, 600 furent tués, 60 fait prisonniers furent massacrés par la suite et leur colonel guillotiné. Une centaine en réchappèrent. Un monument leur est dédié à Lucerne en Suisse. L’histoire n’a jamais établi leur responsabilité dans ses évènements.

Grenadier suisse avec son bonnet d'ourson à plaque et sa pipe en porcelaine

Grenadier suisse avec son bonnet d'ourson à plaque et sa pipe en porcelaine

Toutefois, servir la France avait perdu de son intérêt depuis les édits de Choiseul [1] autorisant leur emploi à d’autres travaux que celui des armes. Puis la révolution mis fin à leur emploi comme auxilliaires de l’armée française. Ils étaient encore environ 14000 à la veille de la révolution, certains participèrent encore au combats des armées révolutionnaires, mais la plupart partirent vers d’autres pays, l’Espagne, l’Angleterre, l’Allemagne, d’autres rentrèrent au pays. La restauration les rappela au service armé de la France et la retraite de Russie en 1812 en vit périrent au moins 9000. Ce n’est qu’en 1831, que les troupes étrangères furent remplacées ou incorporées dans notre fameuse légion étrangère.

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Revenons maintenant à la famille « Saltzgueber » devenu la famille « Saltzgaibre » originaire des cantons « des Grisons »[2] et du « Valais ».

Canton des Grisons : (branche de Jenas)

C’était une famille de la ligue des X juridictions venant probablement du Vorarlberg. Dont Valentin Walter fut podestat de Traona [3](1555-1557) puis nous trouvons Rodolphe de Saltzgueber qui entra au service de la France dans le régiment de Salis qu’il quittera comme colonel en 1705 à Metz.

Canton du Valais : (Branche de Seewis)

Les familles Saltzgueber de ce canton s’allièrent aux Saltzgueber des Grisons, ils devinrent baron. (Renseignements tirés du dictionnaire historique et biographique de la Suisse –Société générale suisse d’histoire – Neufchatel – 1930)

Arrivée à Thionville en 1669 des deux compagnies suisses de Rodolphe de Saltzgueber

Le 22 novembre 1669, a lieu sur la place d’armes de Thionville, une montre et revue pour laquelle un rôle est établi. Je m’explique, sous l’ancien régime, un capitaine au service du roi de France était le commandant d’une compagnie, soit 100 hommes. C’était une charge ou un office quon achetait pour avoir son brevet de capitaine. Régulièrement, on faisait une montre ou revue des hommes de la compagnie pour voir s’ils étaient bien présents, s’ils existaient réellement et s’ils avaient l’équipement nécessaire et suffisant aux gens de guerre. On mettait tout cela par écrit, c’était le rôle, avec le nom de chaque soldat et le capitaine recevait une certaine somme.

C’est ce qui eut lieu à Thionville, ce 22 novembre 1669, en présence du maire, le sieur François, de Benoît de Chabré, trésorier provincial de l’extraordinaire des guerres et cavalerie et d’un autre trésorier, mais celui-ci général pour l’extraordinaire des guerres et cavalerie, tous deux aussi conseillers du roi. Ils sont délégués pour Metz, Toul, Verdun, la Lorraine, la Champagne, l’Alsace et l’Allemagne. Ensuite on trouve le capitaine Saltzgueber avec dix lieutenants et enseignes puis les hommes des deux compagnies suisses dont tous les noms sont listés. La somme reçu par le capitaine sera de 2900 livres tournois.


[1] Le duc de Choiseul essaya de 1762 à 1770 de briser les privilèges des régiments suisses en essayant de les organiser sur le modèle des régiments français. Il était colonel général des suisses et ministre de la guerre.

[2] Le canton des Grisons est un des plus grand du pays, il se compose de 3 ligues ou républiques fédératives dont une est celle des X juridictions ou droitures.

[3] Podestat : c’est à dire le « maire » avec des pouvoirs judiciaires, de la commune de Traona en Lombardie.

Extrait du rôle où figure le nom des soldats de la compagnie de Saltzgaibre (ADM J6709)

Extrait du rôle où figure le nom des soldats de la compagnie de Saltzgaibre (ADM J6709)

Ayant construit le premier pont couvert de Thionville, on trouve une référence à son sujet dans « l’Histoire de Thionville » de Teissier qui dit ceci : [1]

«… Cette famille d’origine suisse s’est fixée en France sous Louis XV, francisant son nom en Salzgaibre le 8 avril 1673, il signe Ruedolphus Saltzgaiber, capitatius.

Charles de Saltzgaibre, capitaine au régiment de Royal-Bavière et chevalier de Saint-Louis, habitait Metz et était seigneur en partie de Nouilly »

Après la construction du pont, il participa et supervisa tous les travaux de fortifications de la ville de Thionville dans les conditions décrites dans les articles précédents.

Nous voyons que son nom n’est plus cité dans les actes à partir de septembre 1677.

Quid de ce capitaine ?

Des recherches effectuées aux archives cantonales des Grisons en Suisse, nous donnent les éléments suivants :

« Rodolphe Saltzgerber, du pays des Grisons, capitaine au régiment de Salis en février 1692, en fut nommé Lieutenant-colonel. Il se distingua beaucoup en 1692 au combat de Steinkerk. Monsieur de Polier son colonel y ayant été tué, monsieur de Saltzgerber fit manœuvrer si bien le régiment en sa place, qu’on ne s’aperçut par de la perte qu’il avait faite. Il eut le brevet de colonel le 25 juin 1702 et quitta le service en avril 1705 à cause de son grand âge. Il obtint une pension de 600 livres. Son fils Christian Saltzgerber obtint le commandement de sa compagnie, elle fut réformée en février 1716. »

 

[1] Page 143

Ces recherches en Suisse nous indiquent aussi que le régiment de Salis était un régiment d’infanterie suisse au service du royaume de France qui prit le nom de ses colonels successifs : Polier ou Porlier, Reynold, Castellas, Bettens, Monnin, Reding, Pfyffer, Sonnenberg puis en 1792 le 65ème régiment d’infanterie de ligne et enfin licencié en août 1792.

Le régiment de Salis prend part au siège de Valenciennes en 1677, puis à la bataille de Cambrai et à tous les sièges et batailles de la guerre des Pays-bas puis de la Ligue d’Augsbourg où le colonel Salis fut tué à la bataille de Fleurus en 1690.

Salis fut remplacé par le colonel Porlier ou Polier, après le siège de Namur, il fut tué à la bataille de Steinkerque le 3 août1692 et remplacé au commandement de façon adroite [1] par Rodolphe Saltzgaibre son second qui en retira un certain prestige et son brevet de colonel.

Celui-ci, atteint par la limite d’âge prit sa retraite en 1705 et se retira à Metz où il avait été de nombreuses années entrepreneurs des fortifications de la ville ainsi que de celles de Thionville.

Rodolphe de Saltzgaibre eut au moins un fils, Christian alias Christophe qui fut capitaine au régiment de Castellas (nom du régiment de Salis à dater du 25 juin 1702 à la mort du colonel Reynold).

Christian Saltzgaibre avait épousé à Metz, paroisse Saint-Eucaire, Isabelle-Claire Blanc ou Blanque. Il est décédé le 25 mai 1759, rue Chapé, dans la même paroisse. Son épouse décéda le 12 juillet 1772 à 72 ans. Ils furent inhumés au pied de l’escalier du choeur dans l’église Saint-Eucaire de Metz.

 

[1] L’ennemi et le régiment ne se rendirent pas compte que le colonel avait été tué.

Acte de décès de Christian alias Christophe Saltzgaibre (fils de Rodolphe Saltzgaibre)

Acte de décès de Christian alias Christophe Saltzgaibre (fils de Rodolphe Saltzgaibre)

Ils eurent au moins huit enfants, dont Charles Dominique Gabriel Salztgaibre, né le 23 mars 1718, en la paroisse de Saint-Maximin à Metz. Il fut capitaine au régiment Royal Bavière et seigneur en partie de Nouilly. Ils demeuraient rue Mabile à Metz en la paroisse de Saint-Eucaire.

Il épousa Marguerite de Pagny, décédée en couche à 27 ans, puis Gabrielle de Brye, décédée en 1785 à 63 ans. Lui même décéda le 25 mai 1774 en la paroisse Saint-Victor à Metz. Ils furent inhumés dans le caveau familial dans l’église Saint-Eucaire.

Suivirent sept autres enfants : Marguerite décédée à 2 mois, puis Marguerite Anne julienne, Charlotte, Catherine Elisabeth, Jean François Xavier (décédé jeune) , Marguerite Nicole et Christophe qui fut curé de Serrouville.

La famille Saltzgaibre s’éteignit ainsi faute de descendant mâle en position de pouvoir procréer.

Pour conclure, voilà une belle page d’histoire pour le bâtisseur que fut Rodolphe de Saltzgaibre qui méritait bien de sortir de son anonymat pour reprendre sa place dans l’histoire Thionvilloise.

Soldats suisses au repos

Soldats suisses au repos

Références des archives de l’armée à Vincennes contactées au sujet

du capitaine Saltzgaibre

L’époque concernée est trop lointaine et aucun dossier d’officier n’existe pour cette époque.

Toutefois existe une table des signataires de la série GR 1A du ministère de la guerre avec 3 références sur Rodolphe Saltzgaibre, commissaire à Thionville en août/septembre 1672 cote GR 1A 294 – Octobre 1672 cote GR 1A 295  - Janvier/juin 1673 cote GR 1A 350

Les archives du Génie relatives à Thionville : cote GR 1 VH 1789-1803

pour les années allant de 1671 à 1913

(Il serait sans doute très intéressant d'aller voir ces documents à Vincennes)

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