A Thionville, comme dans toutes les villes, existait donc un nombre important de corporations de métiers souvent associés à des confréries religieuses.
Les principales étant celles des bouchers, des boulangers et des tanneurs/cordonniers, mais il en existait bien d’autres comme celles des merciers et celles tout aussi importante regroupant les métiers liés au bâtiment.
La corporation des merciers était très puissante car comme on le disait à l’époque :
« Merciers, marchands de tout, faiseurs de rien ». Effectivement, les merciers ne fabriquaient rien, ils achetaient diverses marchandises qu’ils revendaient et à Thionville ces boutiques étaient très nombreuses, on y trouvait de tout comme on le voit dans les inventaires après décès.[1]On trouve sur le linteau d’une maison située au 20 rue de Jemmapes un blason de métier ayant appartenu à Mathieu Delhaye, mercier de son état.[2]
Il existe aussi un acte du 7 juillet 1697 qui nous montre que le corps des merciers avait obtenu le droit de vendre les vinaigres et de distiller le Brandwin [3]et cela en vertu des nouveaux droits établis sur la distribution des eaux de vie et vinaigres qui avaient été affermés à des fermiers à qui les merciers devaient donc payer une taxe importante.
Si importante, qu‘ils avaient dû faire un emprunt de 4500 livres tournois afin de payer ces nouveaux droits. Voici un extrait de l’acte :
« Devant les notaires royaux de Thionville furent présent en personne Claude Lestamy, maître du corps des marchands merciers de Thionville avec les confrères Nicolas Viry, Jean Vlery, Nicolas Frantz, Jean Degoix, Pierre Lescuyer, François Poiret dit « Bocage » Claude Herbelo, Jean Nicolas Lang, Nicolas Tailleux, Abraham Lamberty, Conrad Schwabe, Jacques Concet (Conseil), Adam Grenier, Adam Poiret, Sébastien Husson, Nicolas Augustin, Jean Weel, Jean Michel Wée, Paul Bonnaventure, Germain Berjon, Jean Augustin, Cuny Petelot, tous marchand et composant le corps des merciers de Thionville. Ceux-ci ont donné pouvoir , autorité et puissance par ces présentes lettres aux sieurs Jean Guillaume Muller, Jean Collin, Denis Jeanjean et Pierre Dubois qui sont marchands à Thionville de faire pour eux tous et pour tout le corps des merciers vendeurs et distillateurs de Brandwin et de vinaigre, un emprunt d’une somme de 4500 livres tournois pour faire le remboursement de la somme avancée par les fermiers des droits nouveaux établis sur la distribution des eaux de vie et vinaigre le tout conformément à l’arrêt du conseil ordinaire de l’intendant… »
Le 9 août 1697 un autre acte nous confirme que par devant les notaires royaux de Thionville « Les sieurs Martin Bonjean, Claude Renouard et Dominique Scharff [4]ont reçu le pouvoir du plein corps des marchands merciers de Thionville par les mains des sieurs Muller, Collin, Denis Jeanjean et Pierre Dubois pour la somme de 4400 livres tournois conformément à l’arrêt du 9 juillet dernier rendu au profit des marchands merciers de Thionville et en plus 100 livres tournois pour dépens soit 4500 livres tournois, somme qu’il leur a été réellement délivrée. Ils consentent donc que l’arrêt soit exécuté selon sa forme et qu’ils puissent jouir de l’adjudication qu’il leur a été faite par messieurs de l’hôtel de ville du droit à eux accordé sur les brandwins et vinaigres et cela pour 9 années.
[1]Voir celui du marchand Jean Degoix en 1709 (Miscellanées 2017 page 57 ou sur le blog :«www.histoiredethionville .com»
Ils promettent de remettre en main des marchands merciers les papiers qu’ils pourront avoir concernant lesdits droits et cela incessamment. Fait à Thionville le 9 août 1697. »
Comme on peut le voir, il y a plus de vingt merciers à Thionville en cette fin de 17ème siècle et si tous ne sont pas riches, certains d’entre eux se hissent dans le haut du panier des notables thionvillois.
Un autre corps de métier revêt une certaine importance, je veux parler ici de tous les métiers liés au bâtiment : maçon, couvreurs, charpentiers, menuisiers et plus étonnant les potiers de terre. Comme cette corporation regroupe plusieurs métiers différents, elle a pris le nom de sa confrérie religieuse soit Saint-Thiebault dont le maître en 1682 était Jean Leyendecker (Leydecker)
Un acte de vente de leur maison en date du 22 mars 1693, nous donne quelques précisions sur ce regroupement de métiers au sein de la confrérie, en voici un résumé :
« Devant les notaires royaux de Thionville sont comparus Michel Kaikel et Nicolas Velter, vieux et jeune maîtres de la confrérie Saint-Thiebaut érigée à Thionville dans laquelle sont regroupés les métiers de maçons, charpentiers, menuisiers, couvreurs et potiers de terre avec les confrères qui suivent :
Christian Beuren, Gaspard Boenner, Bernard Léger (le jeune), Jean Brauer, Jean de la Croix (sculpteur), André Malinger, Nicolas Reuther (maçon), Jean Vehl, Jean Chomade, Dernid Cire, Jean Beck, Pierre dit Pierre Charpentier, Antoine Bertin, Philippe Levesque, Mathis Claus, Etienne Michel, Jean Garnier, Jean Collin, Jean Puissot dit « La Haye », Jean Antoine, Etienne Bossa, François Poiret, Michel Robin (menuisier), Louy jean Bouzin et Adam Leindester (couvreurs) et finalement Nicolas Euvrard Vocker potier de terre, lesquels nous ont dit consentir à la vente de leur maison de confrérie située dans la rue de l’Hôpital avec d’un côté Jean Tourlet et de l’autre Michel Vehe et les héritiers de Nicolas Reuther.
La vente est faite entre les mains de monsieur de Clémery, écuyer, conseiller du roi, lieutenant général au bailliage de Thionville avec pouvoir en date du 24 février 1693 accordé par le sieur Richard, procureur du roi audit siège de Thionville, tout cela apposé au bas du procès-verbal fait le 28 février dernier en son hôtel et qui restera joint à l’acte de vente pour y avoir recours si besoin.
Les acheteurs sont Jean Grozellier, maître tisserand de Thionville et son épouse Marguerite Cré, ils habitent déjà cette maison depuis 1682 et ont déjà payer une partie du prix de vente qui se monte à 900 livres tournois, la maison est franche de droits. »
Un autre acte du lundi 18 janvier 1694, nous explique que la confrérie Sant-Thiebault à bien reçu le paiement de la vente et donne au sieur Grozellier les papiers suivants :
Un acte d’achat sur parchemin de ladite maison par la confrérie datée du 22 septembre 1498 (ou 1428).
Un acte en papier en date du 26 février 1637 qui mentionne l’ouverture de deux fenêtres prenant jour sur une autre maison par derrière et signé du notaire Osweiller.
Nous savons par un acte du 7 août 1662 que c’est Jean Herga, huillier à Thionville qui avait vendu à Nicolas Reuther, maçon, une partie de la maison mitoyenne à la maison de la confrérie Saint-Thiebault.
Signatures et marques des confrères de Saint-Thiebault au bas de l’acte
On voit là l’ancienneté des corporations et des confréries à Thionville [1]et le regroupement par métiers associés, au sein des confréries ainsi que le rattachement de certains métiers trop peu nombreux pour constituer par eux même une corporation.[2]
On voit aussi que ces corporations avaient des maisons de métiers dans la ville. Elles les louaient à des particuliers, ne gardant souvent la disposition que d’une pièce à l’usage de leurs assemblés. Ces maisons de métiers devenaient des maisons de rapport qu’elles pouvaient vendre à l’occasion en fonction de leurs besoins financiers.
Un autre acte du 22 mai 1663 nous dit que Pierre Gascher, cordonnier, avait vendu avec son frère à Nicolas Louis dit « Latouche » et Marie Laux sa femme une chambre avec grenier à côté de la maison des maîtres drapiers.[3]
Ces maisons de corporation arboraient parfois un signe distinctif, un blason comportant des « meubles » représentatifs du métier comme le blason de la maison située au N° 20 rue de Jemmapes où nous voyons encore les armoiries des merciers. (voir le premier article de cette série)
Toutefois Thionville ayant été si souvent remaniée avant le 18èmesiècle, peu de ses blasons subsistent. Il en existe bien sur une des maisons de la « Place aux bois » au-dessus du boucher- charcutier - traiteur « Nosal ».
[1]A la fin du 17èmesiècle la ville comptait entre 12 et 16 corporations et donc plusieurs confréries
[2]Potiers de terre, perruquiers, apothicaires, médecins et chirurgiens…
[3]Au moyen-âge cette corporation des drapiers avait été très puissante à Thionville et possédait un moulin à foulon à Beauregard qui sera reconverti par Pierre Dubois en moulin à farine sur ordre du gouverneur de Thionville au 17èmesiècle
Frises de la maison "Nosal" place aux bois
Frises de la maison "Nosal" place aux bois
Cependant cette série de motifs sont relativement récents [1]et ne font que s’inspirer des blasons de métiers anciens.
D’autres encore, du siècle dernier, ne sont là que pour décorer une porte suivant la sensibilité particulière du propriétaire comme au N°14 de l’avenue Albert 1er.
Il reste toutefois un autre blason au-dessus d’une porte sous [1]les arcades de la place du marché (Anne Grommerch). Ce blason est très ancien, probablement du 16èmesiècle peut-être même un peu avant. Tous les ouvrages ou articles parus sur Thionville qui font état de ce blason l’attribuent à une ancienne famille luxembourgeoise portant le même blason avec trois lévriers courants. Plusieurs familles sont sur les rangs. Je ne donnerai ici que celle que j’ai moi-même identifiée comme possible et qui serait la famille Marschalk dont un des membres, Nicolas, fut échevin de Thionville de 1401 à 1419, il était marié à Catherine de Bettingen.
Son père Thierry fut en 1374, un homme du duc de Luxembourg. La famille fit un don aux Augustins de Thionville en 1498 et portait les armes ci-dessous.
On pourrait se contenter de cette explication mais voilà a y bien regarder, je ne m’en contenterai pas !
Ce blason se trouve sur la place du marché (Anne Grommerch) qui au moyen-âge était bordée par les échoppes des marchands. Les nobles portant blason n’habitaient pas là, mais dans la cour du château ou autour de l’église paroissiale (paroisse)
Au 15ème, 16èmesiècle, l’héraldique est très codifiée et les animaux représentés répondaient à des critères esthétiques précis ainsi les lévriers sont toujours représentés avec un museau allongé, les oreilles en arrière puisqu’ils sont censés courir et ils sont toujours colletés, c’est à dire qu’ils ont un collier, comme sur le blason de la famille Marschalk qui répond bien aux critères ci-dessus.
On peut voir ci-dessous un autre blason sculpté représentant des lévriers avec cette même codification stéréotypée.
Un simple regard sur le blason des arcades de la place du marché (Anne Grommerch) permet de voir que ce blason ne reprend absolument pas les codes héraldiques représentant des lévriers et pour que vous en soyez sûr voici un gros plan de la tête des animaux de ce blason.
Gros plan de la tête d'un animal du blason
Très franchement cet animal n’est pas un lévrier, mais fait penser immédiatement à un lièvre ou autre animal de ferme, oreilles en avant, museau court et arrondi, œil arrondi typique et pas de collier.
Ajouté à cette première remarque, le fait que des anneaux de corde entourent le museau des animaux (celui du milieu et celui du bas) me conduit à penser que ce blason est celui d’une corporation ou d’un marchand lié au commerce de gibier, boucher ou épicier.
Sur l’animal en bas du blason :
On distingue plus nettement l’anneau de corde entourant le museau et un bout de cette corde remontant vers le haut des pattes.
Cela correspondrait bien à l’emplacement du blason et à sa représentation. Je le classerai dans la catégorie des blasons de métiers, ancêtres des enseignes pendantes [1]qui suivront puis de nos publicités actuelles.
Le musée de Thionville possède dans ses collections quelques éléments du 15èmesiècle représentatifs des corporations thionvilloises :
[1]Faites en fer forgé dont certaines très esthétiques existent toujours.
Vous trouverez ci-dessous une sélection des blasons de corporations qui sont visibles dans le musée de Thionville. Ils proviennent pour l’essentiel de pièces trouvées à l’occasion du démantèlement des fortifications de la ville en 1903, dans les ruines de la chapelle des Augustins de Thionville qui a été détruite pendant le siège de 1558.
Une clé de voûte de l’ancienne chapelle des augustins qui porte les attributs de la corporation des tisserands. (Peigne et navette)
Toujours provenant de la chapelle des Augustins, la pierre tombale du boucher Jean Lebler décédé à Thionville en 1498, comportant les attributs classiques des bouchers: couteau et couperet
Un morceau d’un linteau de porte portant les signes distinctifs des bateliers et pêcheurs de la ville.
Un haut de fenêtre daté de 1590, comportant au milieu d’arcatures gothiques, des attributs corporatifs tels qu’un peigne à carder et probablement des poids de métier à tisser éventuellement une balance mais qui serait sans rapport avec le peigne à carder. (Trouvée en 1924 au 7, rue de la Tour, toujours dans l’opération de démantèlement des remparts)
Les dénombrements de Thionville nous donnent quelques chiffres sur les différents métiers représentés à Thionville :[1]
On peut y rajouter les vignerons de la confrérie Saint-Urbain de Guentrange [2], les porteurs de sacs et un ensemble de petits métiers isolés.
Dans le prochain article, j’évoquerai les bouchers et les boulangers, ensuite nous verrons les confréries religieuses liées à ces corporations et pour clore cette série, la confrérie du rosaire, seule confrérie thionvilloise exclusivement religieuse non liée à une corporation.
Sources :
Actes notariés aux ADM – Helminger 3E7520 à 3E7538 Bonjean 3E7806 à 7850 et Robin 3e7549 à 3e7584
Archives communales de Thionville – Notes de l’abbé Braubach
Les photos prises au Musée de la Tour aux Puces, cour du château à Thionville, sont publiées avec l’aimable autorisation de Monsieur Jackie Helfgott, adjoint délégué à la culture au patrimoine et au tourisme.
Les photos sont prises par mes soins
[1]Chiffres du 17èmeet 18èmesiècle donnés par Gabriel Stiller et repris par Jean-Marie Yante en 2008 mais qui sont à prendre avec prudence certains métiers étant regroupés ou confondus.
[2]Etudiée par Paul Médoc dans sa revue N°1 de décembre 2017 « Azur et Or »
Les corporations du moyen-âge et celle de la période dite de l’ancien régime sont nombreuses et relativement puissantes, principalement dans les grandes villes où souvent le prévôt des marchands est aussi le maire ou à minima son alter égo.
La société d’ancien régime que l’on peut faire débuter au début du 16èmesiècle possède des caractéristiques bien tranchés.
La religion :
En premier lieu, c’est une société catholique qui est alors une religion d’état, la monarchie est de droit divin.
La religion est la poutre maîtresse de la société. Elle accompagne chaque individu du berceau à la tombe et les confréries associées aux corporations en sont un maillon important.
Les prêtres et les pauvres curés de campagne, s’ils n’ont pas accès aux conseils municipaux constituent, dans l’ensemble qu’est la paroisse, une contrepartie fondamentale. Ils ont l’éducation et les connaissances juridiques avec les contacts et l’oreille des nobles, leur poids est considérable. Bien souvent quand une école existe, ce sont eux, les religieux, qui ont en la charge.
Et pourtant "Les racines chrétiennes de la France et de l’Europe"
font encore débat
Je suis l'Alpha et l'Oméga
La coutume :
Ensuite, cette société d’ancien régime est essentiellement régit par la coutume qui est considérée comme étant le « vrai droit » de la cité et du pays. Cette coutume est bien plus ancienne que l’ancien régime, elle s’est élaborée au cours des temps et les habitants y sont très attachés à tel point qu’à chaque changement de gouvernance, le nouveau venu s’est empressé de reconduire « la coutume » afin de ne pas brusquer le cours des choses.
C’est elle qui régit la vie de la cité et la façon d’y traiter les affaires. Après la prise de Thionville en 1643 par la France, Louis XIV a reconduit la « Coutume » même si lentement, il l’a petit à petit, rendu inopérante.
Le corporatisme :
L’ancien régime héritier direct du moyen-âge était une époque où l’individu ne comptait guère, isolé on n’était rien ou si peu. Pour être, il fallait faire partie d’une assemblée, d’un groupe, pouvoir être vu comme pouvoir, contre-pouvoir car en face de vous se trouvait d’autres assemblées, d’autres groupes. L’affiliation à une corporation était obligatoire et celle à la confrérie associée allait de soi.
Il existait dans la ville, plusieurs groupes ou corps différents et souvent concurrents:
Les nobles, peu nombreux, habitant généralement la campagne, ils possèdent pour leurs affaires, pour leurs commodités, des maisons particulières dans la ville, pour Thionville principalement dans la cour du château ou proche de l’église paroissiale.
La paroisse avec son clergé
La municipalité avec ses officiers, ses notaires, juges, lieutenants divers, ses greffiers, ses huissiers, ses sergents, son bourreau.
Les corporations de marchands, d’artisans et de métiers particuliers souvent rattachés. Corporations en lien étroit avec la paroisse au travers des confréries.
Il existait aussi des individus qui n’entraient pas dans ce schéma, je veux parler ici des très pauvres vagabonds, saltinbanques et colporteurs, juifs et hérétiques. Pour eux c’étaient l’errance, l’interdiction, l’emprisonnement, la relégation.
Tous ces groupes travaillaient ensemble et se contrôlaient, tissant des liens plus ou moins serrés, créant de même des inimitiés et des rancoeurs tenaces.
Cela décrit bien l’organisation de la ville de Thionville qui possèdait en plus quelques particularités que nous allons voir de suite au travers d’une des corporations les plus riches de la ville au 17èmeet 18èmesiècle, celle des Cordonniers-Tanneurs.[1]
Je pourrais aussi dire des Tanneurs-Cordonniers sans qu’aucune n’est la préséance sur l’autre, car à Thionville les tanneurs font aussi le métier de cordonnier et les cordonniers aussi celui de tanneur.
[1]On peut aisément le croire dans une ville de garnison et où les villages alentours sont exclusivement agricoles et où toutes les activités sont grosses consommatrices de cuir.
En 1696, Louis XIV toujours à court d’argent, confia à Charles René d’Hozier conseiller du roi, généalogiste du roi, juge des armoiries de France la charge de répertorier, de créer et même d’imposer à tout un chacun, comme aux couvents et corporations, un blason moyennant la délivrance d’un certificat contre 20 livres tournois.
La corporation des Tanneurs-Cordonniers de Thionville se vit donc imposer le blason ci-contre, qu’elle n’utilisa jamais, comme la plupart des autres corporations qui utilisèrent la plupart du temps leurs marques de métiers spécifiques et bien plus anciennes.
« D’azur au chef d’argent chargé d’une billette d’azur »
Dans la plupart des villes, les tanneurs et les cordonniers dont les métiers sont différents étaient donc groupés au sein de corporations distinctes.
La logique voulait que les tanneurs fournissent en peaux déjà tannées les cordonniers chargés d’en faire des souliers, tabliers, ceintures, sacs, courroies et autres brides.
Or, un document daté du 13 novembre 1708, nous apprend qu’à Thionville contrairement aux villes voisines, les tanneurs exercent aussi, impunément, le métier de cordonnier et réciproquement et que cet usage a été toléré mal à propos depuis des années car il est contraire aux différents métiers et au bien publique. Les taxes et impositions se font de manières différentes envers ces deux métiers et donnent un avantage aux tanneurs qui maitrisent la matière première, pouvant ainsi, vendre des souliers moins chers et parfois de meilleures qualités que les cordonniers. Ceux-ci n’ont alors plus assez de travail pour faire vivre leur famille.
Extrait de l'acte en question
L’acte en question vise à remédier à cette dérive et confie aux sieurs Mathias Bonjean, conseiller et assesseur de l’hôtel commun (de ville) et André Wolkringer, marchand tanneur, la mission de séparer les deux corps de métiers et de conduire cette affaire, en précisant bien que les membres de la confrérie qui continueront à exercer les deux métiers seront considérés comme mutins et en conséquence pourront être poursuivi.
Les sieurs Bonjean et Wolkringer ayant pouvoirs délégués de poursuivre en justice aux noms des deux corps, tanneurs et cordonniers.
Les membres des deux corps ont signé cet acte.
Nous pouvons y relever les noms suivants (à l’orthographe prêt et tous métiers confondus) :
André Wolkringer (Tanneur)
Michel Léonard le jeune
Zacharie Clerf
Jean Médar (signe)
Jean Merlinger
Jean Gascher (cordonnier)
Nicolas Goffin (signe)
Adam Arnould (signe)
Jean Thibault le jeune (signe)
Nicolas Cune (signe Qunne)
Chaude Jaunage
Martin Fock (Signe Foc)
Simon Villain
Pierre Ernest
René Londres
Nicolas Touvion
Georges Sommeny
Claude Michel
Georges Mazillon
Jean Weiler
François Jessier
Philippe Clément
Adam Poiret Pierre Jean
Nicolas Mozeller
Simon Champion
Nicolas Collebrand
Pierre Rossignon (signe)
Signe également un certain Pierre Merling qui n’apparaît pas dans la liste des confrères, peut-être un ascendant lointain de la famille Merlin, illustre à Thionville, qui aurait eu une responsabilité au bailliage ou à l’hôtel de ville comme les ancêtres connus du célèbre conventionnel.
Cette liste bien fournie montre l’importance de ces métiers qui semblent bien avoir travaillé dans cette confusion des genres depuis de nombreuses années comme l’atteste un acte du 15 février 1663 précisant l’échange de leur maison de métiers, celle du corps des métiers de tanneurs et de cordonniers avec une autre maison en la ville de Thionville.
Nous verrons cet acte en détail dans le prochain article [1]
Ceci étant dit, passons à notre histoire du mois qui va nous montrer qu'en 1706 quelques fortes têtes insoumises de nos villages n'hésitaient pas à mettre en échec temporaire les petits seigneurs locaux.[1]
L’affaire se passe à Manom, elle met en scène le seigneur de Lagrange et plusieurs laboureurs et manouvriers du village .
A tout seigneur tout honneur, commençons par ledit seigneur, en l’occurrence, François Brice Gomé de la Grange.
[1]Locaux, façon de parler, car bien souvent ils étaient étrangers à la région, certains n’y vivaient même pas.
La famille descendait de la famille d’Hugues des Hazards, évêque de Toul de 1506 à 1517, mais ne repris pas le nom et ne l’associa jamais à son propre nom de Gomé.
Je ne vais pas refaire ici l’histoire de la seigneurie de La Grange, d’autres l’on fort bien faite [1], mais juste rappeler quelques points :
Cette seigneurie appartenait à Christophe Albert comte d’Argenteau, elle passa par héritage à Claude Florimond comte de Mercy. Celui-ci la vendit en 1701, à François Brice Gomé qui à cette occasion rajouta « La Grange » à son nom.[2]
François Brice Gomé de La Grange était receveur des finances du roi à Toul, secrétaire en la chancellerie du parlement de Metz où il avait commencé sa carrière en tant qu’avocat en 1674. C’est cette charge de secrétaire à la chancellerie qui lui amena l’anoblissement. Il acheta de nombreuses charges et offices dans la région messine et dans le Toulois, c’était un financier avisé.
Marié à Françoise Ory [3], il rendit foi et hommage au roi pour la seigneurie de La Grange, le 10 mars 1706, et mourut subitement à La Grange le 17 mai 1725. Il fut inhumé dans l’entrée de l’église de Manom où le rejoignit son épouse en 1742 et plus tard, en 1784, un autre seigneur de La Grange, René François de Foucquet.
Ce François Brice Gomé de La Grange a eu trois filles, Marie Anne, Marie et Marie Françoise et deux garçons :
Jean François (le cadet) écuyer habitera en 1744 à Longuyon.
Christophe Gomé de La Grange [4](l'aîné) est né à Toul le 19 janvier 1691.
Il deviendra avocat au parlement de Paris puis en 1721, conseiller au parlement de Metz. Bien entendu, il hérita de son père la seigneurie de La Grange et fut à l’initiative de la création de la faïencerie de La Grange.
Certains auteurs lui imputent la construction du nouveau château, d’autres pensent qu’il faille plutôt imputer cette nouvelle construction à son père François Brice Gomé vers 1714 car l’acte d’achat de la seigneurie en 1701 préciserait que le château était en ruine et inhabité.
Toutefois un élément est à prendre en compte dans ce dilemme, c’est un bail judiciaire passé le 4 août 1698, soit trois années avant la vente de la seigneurie, entre le seigneur Claude Florimond comte de Mercy, héritier du comte d’Argenteau et les créanciers de la seigneurie de La Grange afin d’assurer le paiement desdits créanciers.
Ce bail de deux années comprenait l’ensemble de la seigneurie à l’exception de la cense de Thionville, d’Elange déjà affermées, des prés engagés au sieur de La Roche, des biens de Florange, de Cattenom, des dîmes d’Hussange et des blés, grains, fruits, raisins, houblons déjà dues pour l'année 1698. En contrepartie la Dame veuve du comte d’Argenteau garderait son appartement dans le château consistant en une chambre dite le poil et la chapelle avec tout ce qui est au-dessus jusqu’au toit. De plus, elle aurait les écuries pour deux chevaux et deux vaches avec la liberté de les faire pâturer.
Il semble bien qu'en 1698, le château ne soit pas tout à fait ruiné,
ni tout à fait inhabité !
Ce bail judiciaire est aussi important pour la suite de notre histoire, comme nous le verrons plus avant.
Une fois propriétaire d’une partie de la seigneurie, François Brice Gomé de La Grange voulu la faire fructifier et en retirer les bénéfices attendus comme stipulé dans un record de justice en date du 10 avril 1573 qui fixait les devoirs des habitants avec en regard les rétributions ordinaires affectées à ces droits.[5]
La seigneurie de La Grange comportait une grande partie des terres du village de Manom ainsi que des terres à Garche.
Les devoirs des habitants de Manom mais aussi de Garche consistaient en divers cens et taxes mais aussi en corvées qu’énumérait le record de justice de 1573, les voici :
Chaque laboureur avec sa charrue se devait de travailler :
2 jours aux marsages.(Au printemps, appelé aussi tramois))
2 jours aux semarts. (Semailles)
2 jours à verser et remuer les terres. (Labourage)
2 jours à les semer.
Une demie journée à voiturer hors la prairie de la maladrerie (Malgrange) et celle de « Rheinwisse » tous les foins.
2 chars de blé à la moisson.
1 char de bois à Noël.
1 char de fagots au mois de mai.
1 jour à bécher et à labourer les vignes et pendant les vendanges, de cueillir le raisin et porter la hotte.
Désigner 3 ou 4 personnes à la fenaison pour charger le foin, l’amonceler et à la fourche, le charger.
Mais voilà, notre seigneur de La Grange allait tomber sur quelques fortes têtes insoumises de Manom [6]qui de plus obtinrent un soutien, de la communauté du village dans son ensemble.
Ces « fortes têtes insoumises » acceptaient difficilement, voir pas du tout, ce nouveau seigneur inconnu et comme ce fut assez souvent le cas, profitèrent du changement de seigneur pour essayer de remettre en cause leurs contributions à son train de vie, aussi ils refusèrent purement et simplement d’exécuter les corvées dans leurs ensemble, soutenus à priori par le village.
"...habitants et communauté prenant fait et cause de ceux des
particuliers qui la composent..."
[1]Histoire des seigneurs et de la seigneurie de La Grange par Charles KOHN aux Archives municipales.
[2]A Thionville, une autre famille avait rajouté à leur nom la terminaison « La Grange », ce sont les Georges qui furent seigneurs en partie de Meilbourg, en relation avec l’achat des îles de la Grange sur la Moselle.
[4]Seigneur de La Grange après son père, il vécut peu de temps à La Grange, en 1744, il vivait à Paris où il est décédé au début de 1757. C’est son épouse qui gérait le domaine de La Grange. Vivant largement au-dessus de ses moyens, il fut obligé de vendre entre 1751 et 1753, la seigneurie avec la faïencerie et la tuilerie plus ses charges de conseiller et d’avocat. C’est comme cela que la seigneurie et son château furent rachetés en décembre 1752 par René François comte de Foucquet, maréchal des camps et armées du Roi, cousin du maréchal de Belle-Isle
[5]Comme vu dans les articles précédents, fort peu de droits, beaucoup de devoirs !
[6]Les choses se passèrent de la même façon à Garche
Qui étaient-ils ?
C’était en fait les laboureurs du village, c’est à dire les moins pauvres des pauvres habitants, soit ceux qui avaient un tant soit peu la possibilité d’agir en montrant leur mécontentement.
C’était il y a maintenant 311 années !
Comme disait Coluche, j’ai les noms et les adresses.
Moi, je n’ai pas les adresses, mais j'ai les noms que voici :
Les laboureurs :
Nicolas Léonard
Etienne Léonard
Dimanche Léonard
Jean Bouster
Valentin Vir
François Bronquar
François Charon
Jean Charon
Michel Lejeune
Frédérique Lint
Sébastien Serf
Les manouvriers qui devaient aider à la fenaison :
François Faussel
Jacques Clément
Jean Nicolas
Nicolas Hillard
Cela représentait pour les laboureurs de Manom un peu plus de trois mois de travail à une période où eux-mêmes étaient en pleine saison des travaux champêtres.
Devant le refus catégorique des laboureurs, des manouvriers, soutenus par le village, le seigneur François Brice Gomé de La Grange porta l’affaire devant la justice du parlement de Metz le 29 juin 1706 avec comme exigence de les voir condamnés à faire les corvées qu’ils avaient toujours faites, depuis le record de justice de 1573, cela avec dommages et intérêts et en cas de refus de faire exécuter les corvées par des tiers aux frais de la communauté.
Les laboureurs et la communauté villageoise firent valoir que le dénombrement du record de justice de 1573 n’était plus valable et qu’il fallait sans doute le revoir.
Un autre élément est à prendre en compte dans ce refus même s’il n’est pas mentionné. Pour cela, il nous faut revenir au bail judiciaire de 1698.
Effectivement, ce bail a été passé moyennant un canon de 1800 livres pour la première année et de 2000 livres pour la seconde année, ce qui nous donne une fin de bail en 1700/1701 avec comme conditions d’entretenir les bâtiments, les dépendances et les terres afin de les rendre en bon état à la fin du bail.
Enfin le bail est passé aux personnes suivantes :
Michel Laniau, maire de Manom.
Nicolas Léonard
Dimanche Léonard
Pierre François Nicolas
Nous retrouvons là une partie des laboureurs qui refusèrent les corvées et cerise sur « gâteau » le canon du bail était à payer entre les mains du commissaire de la cour du parlement de Metz où officiait en financier avisé François Brice Gomé qui dès la fin du bail et le paiement des créanciers réalisé par les canons du bail judiciaire, se porta acquéreur de la seigneurie de La Grange.
Mettons-nous quelques instants à la place de ces laboureurs Manommois qui pendant deux années ont exploité les terres de la seigneurie, profité du bois mort et de la vaine pâture, ont sans doute fait quelques travaux aux bâtiments et pris « soin » de la vieille douairière d’Argenteau et qui se voient au terme du bail dont leur travail a payé les créanciers de la seigneurie, obligés d’aller travailler gratuitement pendant trois mois pour un seigneur Toulois inconnu ayant su profiter de l’opportunité de sa charge à la chancellerie du parlement.
Malgré tout, le 27 novembre 1706, le parlement rendit l’arrêt suivant :
« Au vu des requêtes, je conclus pour le roi que les habitants ou communauté de Manom soit déboutés et en conséquence je les condamne à faire les corvées ordinaires et accoutumées conformément au record de justice du 10 avril 1573 à charge toutefois de recevoir les rétributions ordinaires [1]et pour le refus qu’ils ont fait cette année je les condamne aux dommages et intérêts »
Il est donc probable que les laboureurs s’exécutèrent pour les années suivantes. Le village voisin de Garche fit le même genre de refus au nouveau seigneur de La Grange.
Il était assez courant à cette époque que les habitants contestent les corvées qui leur étaient imposées et cela souvent quand un nouveau seigneur étranger à la région prenait en charge leur communauté. L’esprit de clan jouait fortement, les seigneurs issus de familles installées là depuis longtemps n’avaient souvent pas les mêmes difficultés.
Toutefois, depuis longtemps les corvées étaient considérées comme « odieuses » car pour les paysans cela voulait dire qu’ils travaillaient quand le seigneur ne faisait rien, lui apportant aisances et richesses. En champagne, certains seigneurs étaient appelés « Genstuehommes ou genspillehommes » et cette grogne avait fini par remonter aux états généraux d’Orléans (1560/61) et de Blois (1576 et1588) où furent prises quelques ordonnances pour remédier aux abus les plus importants.
Au 16ème siècle on fixa à 12 jours maximum les corvées pour une année puis lors des corvées royales on les limita à 5 jours par an.
Sous Louis XIV, on prit de plus en plus en compte le poids des corvées seigneuriales et les paysans disaient souvent « Si le roi savait ! ».
Mais le roi savait et si l’on baissa un peu la pression sur les corvées seigneuriales, on l’augmenta sur les corvées royales destinées à entretenir les routes, ponts et chemins.
Toutefois, les paysans se sentant un peu plus écoutés commencèrent à se montrer plus vindicatifs envers leur seigneur, certains ou certaines communautés entreprirent de leur faire des procès qui furent en général perdus en vertu d’un vieil adage :
« Oignés vilain, il vous point – Poignés vilain, il vous oint »
(Tiré de Gargantua 1546 - On peut traduire par « caressez un mauvais homme,
il vous fera du mal, faites-lui du mal, il vous caressera »
[1]En se référant à mes articles précédents sur la seigneurie de Meilbourg les rétributions ordinaires consistaient en miches de pain ou soupe avec ou sans lard, car il y avait obligation de nourrir les corvéables.
De moins en moins respectés, ayant de plus en plus de difficultés à percevoir les apports que devait générer leur seigneurie, les seigneurs importants déléguèrent la gestion de celles-ci à leurs officiers ou syndics, les petits seigneurs campagnards vendirent leur seigneurie et cherchèrent "honneur et respect" aux armées dont souvent leur famille était accoutumée ou dans des offices plus lucratifs.
Ces petites seigneuries furent achetées par des anoblis récents, des bourgeois enrichis, marchands et même riches fermiers qui n’eurent plus alors aucune autorité sur les laboureurs aisés qui commencèrent à envisager eux-mêmes l’achat d’un office ou même d’une seigneurie, car à la veille de la révolution, si les charges et redevances existaient encore, les contreparties que devaient rendre les seigneurs n’existaient plus.
L’état centralisateur avait capté le pouvoir jadis aux mains des seigneurs. Ainsi en 1787, on incita ceux-ci à participer davantage à la gestion des communes, on leur donna souvent la présidence des assemblées tout en limitant leurs droits. Ils n’étaient plus les maîtres car le bailliage, l’intendant et le parlement local instruisaient, jugeaient, décidaient.
Beaucoup de seigneurs locaux firent carrière aux armées, certains rejoignirent les municipalités ou même l’industrie comme Christophe Gomé de La Grange avec sa faïencerie et sa tuilerie. Mais voilà pour tenir le rang, entretenir un château et du personnel, avec des revenus plus aléatoires, la reconversion était la seule planche de salut, ceux qui ne purent ou ne voulurent la mener perdirent tout, leurs charges et offices, leur château et leurs terres. Ils furent nombreux ainsi à Thionville et dans la région, car les douces habitudes sont bien difficiles à abandonner.
Sources :
Le village sous l’ancien régime par Albert Babeau – 1878
La tour aux puces couverte de lierre au-devant une colonne Morris
L’histoire de cette « bonne vieille Tour aux puces » est assez peu connue, si vous voulez connaître ce que l’on peut retenir de son histoire, je vous conseille d’aller voir les sites suivants :
Je vais vous exposer le projet d’y installer des prisons militaires dans les années 1733 et 1749, nous ne sommes pas certain qu’il ait vu le jour, mais les plans associés au projet sont de bonnes qualités et nous donneront un aperçu des étages de la tour à cette époque.
Ces plans étaient accompagnés d’un courrier daté du 8 août 1749 et signé Lachèze [1]
[1]GF Teissier dans son histoire de Thionville, le cite et l’orthographie « La Chèze Jean Baptiste » il le dit ingénieur en chef de la place de Thionville où il était encore en 1751. Un plan de la ville porte son nom.
« Monseigneur,
J’ai l’honneur de vous envoyer les deux estimations différentes sur le projet des prisons militaires de cette place, dont la première que vous m’avez remise a été faite en 1733 par monsieur de Rochemore [1] et la deuxième par monsieur de Gourdon, tous les deux ingénieurs en chef de cette place.
J’y joins la copie des plans du projet de monsieur de Rochemore dont je me suis servi pour aller faire la visite du bâtiment dont il est question qui est actuellement occupé par l’artillerie et quelques fois à moitié par les vivres.
J’y ai fait venir le geôlier des prisons de la ville qui convient non seulement de la bonne distribution proposée, mais que la capacité de chaque étage sera suffisante pour contenir le nombre de soldats, officiers et criminels qu’il y ait pu avoir depuis longtemps dans cette garnison.
Je l’ai aussi fait convenir qu’on pourrait presque tripler les cachots en faisant usage des souterrains du rez de chaussée, ce que j’ai écrit sur le plan et pratiqué un entresol au dessus de l’étage de la prison des soldats, ce qui l’augmenterait du double et ce que j’ai aussi écrit sur le plan de cet étage.
A l’égard de la différence des deux estimations de monsieur de Rochemort et Gourdon, celle des deux qui est plus forte m’a paru être faite avec plus d’attention et sur les lieux.
Je joins copie de l’état de cet examen que j’ay fait pour voir la raison de cette différence qui vient aussi de ce que cette deuxième estimation a été faite sept années après, ce qui ferait un supplément de dépense pour les réparations qu’on avait négligées, c’est pour cette même raison que j’augmente cette dernière estimation de 550 livres tournois pour réparations presque à neuf du comble de la tour et plancher au-dessous, où il paraît que l’on a rien fait depuis 1740.
Avec la dépense totale de 5276 livres 8 sols et 6 deniers tournois de ma dernière estimation, on ne pourrait exécuter que le projet tel qu’il est marqué sur les plans, car s’il était question de pratiquer des cachots dans les souterrains du rez de chaussée et de faire l’entresol du deuxième étage de la prison des soldats, cela augmentera de beaucoup la dépense surtout pour le deuxième article, puisqu’il serait question d’exhausser les murs de la tour de près de trois pieds et faire une charpente neuve pour le comble, laquelle à la vérité il faut travailler dans le même goût ainsi que sa couverture quand bien même on laisserait subsister le bâtiment pour usage de l’artillerie et des vivres, cette réparation est très pressante.
Il vous a été représenté monseigneur, qu’il n’y avait point de prison militaire dans cette place, que celle des bourgeois dont on faisait usage était d’une très petite capacité, que l’artillerie et les vivres pourraient se passer aisément de ce bâtiment nommé la tour aux puces, la dépense nécessaire pour remplir cet objectif est bien petite en considération de ce qu’il en coûterait pour en construire de neuves dans la ville.
[1]La famille Rochemort ou Régémort, père et fils furent des architectes ingénieurs qui ont aussi participé à la construction de la nouvelle église Saint Maximin en 1755, voir à ce sujet le Miscellanées 2016, page 39 sur la construction de cette église. (Vous pouvez aussi rechercher cet article via le blog www.histoiredethionville.com en utilisant la recherche du blog)
Il ne serait plus nécessaire de faire celle qu’on proposera dans le couronné de la ville aussi grande qu’on l’avait projeté.
Je suis avec un très profond respect, Monseigneur, votre très humble et obéissant serviteur.
Lachèze
Voilà une lettre intéressante par rapport à ce projet de construction d'une prison militaire dans l’enceinte de la Tour aux puces.
Quoi qu’il en soit, cette lettre nous apporte quand même quelques informations:
La première est que la ville ne possédait pas de prison militaire en ville [1]. Il n’existait dans la ville qu’une prison civile, d’ailleurs fort petite qui se trouvait dans les locaux du beffroi (voir à ce sujet mon article sur ce blog « 1704 Evasion à la prison de Thionville »)
Nous voyons aussi que la charpente et la couverture de la tour sont à refaire de façon urgente et que des travaux ont été faits en 1740.
[1]Il existait une prison militaire dans le couronné, également trop petite que l’on envisageait d’agrandir.
Bien entendu ce projet est assez onéreux, soit plus de 5000 livres, sans y inclure les cachots dans les « souterrains » et à l’entresol, ni l’élévation de la tour de pratiquement un mètre, ni la charpente et la couverture.
Tous ces travaux devaient représenter une somme non négligeable, alors que d’autres part, il était question de reconstruire l’église paroissiale et de perfectionner encore les fortifications.
Tous ces arguments ont du jouer en défaveur de ce projet, il est probable que l’option retenue a été l’agrandissement de la prison militaire du couronné.
La Tour en puces (musée de la ville) en novembre 2017
Toutefois, comme vous le verrez plus loin sur les quelques photos de cette Tour dans les années 1910, on peut constater que l’on retrouve des éléments qui figurent sur les plans qui accompagnaient ce courrier.
LES PLANS DE 1733
Le Rez de chaussée, la cour, éventuellement les prisons des soldats et la cave du geôlier
Photo de l’entrée de la tour vers 1910 qui semble correspondre avec le plan du rez de chaussée de la page précédente à l’exception des fenêtres du 1er étage qui ont été percées ultérieurement à 1733.
On remarquera sur le plan que la tour possédait une cour intérieure dont une partie se trouvait sous un appenti !
Doit-on en déduire que l’autre partie de la cour était à ciel ouvert, ce qui laisserait supposer que la toiture de la tour ne couvrait pas entièrement le bâtiment ?
Comme je le disais en préambule, l’histoire de cette tour est encore largement méconnue. Pourtant d’assez nombreuses études furent réalisées à son sujet, aucune n’a vraiment convaincu quant à son origine et même à son histoire, tout au moins avant le 19ème siècle.
Je viens de relire pratiquement tout ce qui est paru sur l'histoire de cette tour et franchement, j'ai parfois l'impression d'être en présence des mystères de la pyramide de Khéops !
Elle reste un bon sujet d’étude pour qui aurait quelques années à y consacrer !
Le 1er étage prison des officiers et logement du geôlier
2ème étage, prison des soldats
Source : Archives départementales de la Moselle : C12
Numéro ISSN: 2492-2870 Histoire de la ville de Thionville et des villages alentours à partir de documents d'archives.
Etudes historiques précises sur l'ensemble des périodes historiques de la ville de Thionville et des villages alentours qui revisitent cette histoire aujourd'hui un peu datée.
Auteur de plusieurs ouvrages sur Thionville. Créateur et éditeur de ce blog et du périodique annuel "Miscellanées"